Chez Automotivpress, nous avons un intérêt particulier pour l’histoire de la compétition et pour les grandes figures du sport auto. Alors quand se tient à Bruxelles une exposition rétrospective de la fabuleuse carrière de l’un des plus grands seigneurs de la course, du plus éclectique de tous, nous fonçons !
Jacky Ickx, c’est une carrière de plus de trente ans, dans une variété de disciplines inégalée. Mais c’est plus que cela, c’est quasiment le champion par excellence, qui en plus de posséder l’un des talents les plus éclatants, a su conserver avec la sympathie, la modestie qui en font un véritable héros des temps modernes, une sorte de Michel Vaillant en chair et en os.
L’exposition consacrée à Jacky Ickx et Eddy Merckx, amis de 50 ans qui fêtent tous deux leurs 70 printemps cette année, se tient jusqu’au 21 juin au Trade Mart, à un jet de pierre de l’Atomium. Elle rassemble de nombreuses photographies et objets tirés des collections personnelles des deux grands champions belges.
Que Merckx n’en prenne pas ombrage, votre serviteur n’y connaît rien en cyclisme, donc nous nous focaliserons donc sur la carrière de Jacky.
“Jacky n’est bon en rien”. C’est ce que cet enfant rêveur entendra à l’école. Fils de journaliste et pilote, il n’est pourtant pas attiré par la mécanique et rêve plutôt d’être jardinier. A l’adolescence son père lui offre une motocyclette 50 cc. Jacky va vite faire preuve d’un talent particulier à arpenter les champs, qu’il met rapidement à profit pour écœurer la concurrence en trial sur sa Zündapp. Les premières victoires pleuvent.
Jacky passe vite sur 4 roues et le jeune pilote se fait immédiatement repérer par Ken Tyrrell. Au volant de Lotus Cortina et de BMW, il se forge rapidement une connaissance exceptionnelle de la Nordschleife et de Francorchamps.
1967 est l’année des premiers exploits surhumains. Une victoire internationale sous la pluie aux 1000 km de Spa sur la Mirage de John Wyer impressionne le microcosme automobile, mais c’est la performance du jeune homme de 22 ans lors du Grand Prix d’Allemagne au Nürburgring qui va le faire entrer dans la légende. Jugez plutôt : Au volant d’une Matra F2 de 1600 cm3, il va réaliser le 3ème temps des qualifications ! Seuls Jim Clark et Denny Hulme sur leurs F1 de 3 litres réussissent à battre un jeune loup survolté. Sa connaissance de la boucle Nord est parfaite, sa voiture est parfaitement équilibrée et malgré le déficit énorme de puissance, le talent fait le reste… Malheureusement le règlement veut que les F2 prennent le départ en fond de grille. A l’avant dernier tour, Jacky est remonté en 4ème position quand la suspension lâche. Avec une telle prestation, la F1 ne tardera pas à lui dérouler son tapis rouge…
Rouge comme… la Scuderia. C’est en effet rien moins que Enzo Ferrari qui recrute le jeune Belge pour la saison 1968. Au volant de la sublime 312 F1 aux échappements en forme de Spaghetti, il décroche sa première victoire en F1 à Reims sur une piste – ça devient une habitude ! – détrempée.
Le jeune homme réalise en 1968, à 23 ans, un autre exploit exceptionnel qui va construire sa légende : A Spa, il est au départ des 1000 km sur la Ford GT40 aux couleurs de Gulf. Francorchamps, piste détrempée… Les conditions sont parfaites pour un nouveau numéro d’équilibriste. A la fin du premier tour, la Ford vire en tête à la Source puis disparaît dans la forêt ardennaise. Un silence assourdissant s’installe… Où sont donc passés les autres concurrents ? Un grave accident s’est-il produit ? Que nenni, puisqu’après 38 secondes interminables secondes, la meute arrive ! Au deuxième tour, Jacky porte son avance à 55 secondes puis à 1 min 10 au troisième passage… Les observateurs n’en croient pas leurs chronomètres, et lorsque Jacky rend la voiture à son équipier Brian Redman, c’est avec plus d’un tour d’avance. La messe est dite. Rappelons que le toboggan des Ardennes mesurait à l’époque 14 km, et était autrement plus dangereux qu’aujourd’hui.
Déjà étiqueté « Ringmeister » après sa prestation du Nürburgring en 1967, Ickx devient le « Rainmaster » !
La carrière de Ickx c’est aussi une incroyable richesse puisqu’en marge de la F1, le champion belge courait jusqu’à 48 weekends par an ( !) en endurance, tourisme, F2, Can-Am… qui lui ont permis de construire ce palmarès si fourni. Ici, une BMW F270 de 1970 et une 3.0 CSL.
1969, alors que d’autres marchent sur la Lune, pour Jacky c’est le premier titre de vice-champion du monde de F1 sur Brabham. En 1970, Ickx devient le seul pilote ayant quitté la Scuderia volontairement (fin 1968) à être autorisé par le Commendatore à la réintégrer, c’est dire sa cote dans le cœur d’Enzo, peu réputé pour faire des « fleurs » à ses pilotes. La saison se conclut par un second titre de vice-champion du monde derrière le défunt Jochen Rindt. Jacky se réjouit finalement de ne pas avoir ravi le titre à un adversaire qui n’aurait pas été là pour se défendre.
C’est l’occasion de se rappeler à quel point le sport automobile était dangereux. Ickx peut aussi se targuer d’être un des survivants d’une époque dans laquelle un pilote n’avait qu’une chance sur 3 de survivre à sa carrière. Une salle de l’exposition est articulée autour de ce thème. Les murs sont couverts des noms de tous ceux qui ont laissé leur vie pendant les années d’activité de Jacky. La quantité donne le vertige.
Pourtant, Ickx a frôlé plusieurs fois la mort comme à Jarama en 1970.
Percuté par son ami Oliver, sa Ferrari 312 B prend feu. Parvenant à sortir in extremis du brasier, il sera littéralement « éteint » par les secours. Voici le casque de Jarama côté pile…
…Et côté face.
Le début des années 70 marque un creux dans les performances en F1 du champion, à cause de la méforme de la Scuderia, mais en endurance les résultats sont brillants.
Après avoir quitté Ferrari au mauvais moment fin 1973 à l’aube de l’ère Lauda, Jacky se dirige vers Lotus, Ensign, Wolf-Williams puis Ligier.
En 1976 à Watkins Glen, il tape le rail à 180 km/h et s’échappe d’une Ensign en feu et coupée en deux et court se mettre à l’abri, debout sur deux chevilles cassées et avec un orteil arraché.
Mais Ickx, c’est aussi et surtout « Monsieur Le Mans » ! Avec pas moins de 6 victoires en 1969, 1975, 1976, 1977, 1981 et 1982, il a marqué l’épreuve de son empreinte et de sa classe.
1969. Au départ, pour marquer sa désapprobation face à une procédure de départ qu’il juge trop dangereuse, le jeune belge se dirige vers sa GT40 en marchant et prend le temps de se sangler avant de démarrer bon dernier. A la fin du premier tour, l’accident mortel de la Porsche 917 de John Woolfe lui donne étrangement raison…
A l’arrivée enfin, il signe un final d’anthologie en prenant le meilleur sur la Porsche 908 LH de Hans Herrmann, pour 120 mètres, après un duel époustouflant d’aspirations et d’intox dans les Hunaudières.
La victoire de 1977 est selon son propre aveu sa plus brillante. Cette année là, sa Porsche 936 numéro 3 casse dans les toutes premières heures aux mains de Pescarolo. L’équipage star de Porsche est à pied et la situation de la firme allemande est désespérée : L’autre 936, retardée au stand, est 41ème à 9 tours d’une armada d’Alpine… Jacky est alors transféré sur la voiture rescapée et commence une remontée fantastique en alignant des triple relais, tournant 10 secondes au tour plus vite que la tête de course, dans la nuit, le brouillard et avec un compte-tours en panne qui oblige à piloter à l’oreille. La prestation de Ickx entre dans la légende et permet à la Porsche de pointer 2ème au petit matin, mais à plus d’une demi-heure de l’Alpine de tête. La casse de la française offre le commandement à la 936 mais la fin de course est difficile, un piston serre suite au relâchement de la cadence infernale. La voiture est rentrée dans le box avec une avance suffisante pour remporter la course, mais encore faut-il passer la ligne, comme le veut le règlement, en bouclant un tour en moins de 14 min 40, ce que réalise Barth au volant d’un prototype à l’agonie et tournant sur 5 cylindres.
La 936 présentée est le châssis 001, précisément celle de l’exploit de 1977.
A peine revenu du Mans, Jacky met au point puis fait gagner la 935 Baby, destinée par Porsche à prouver la pertinence d’une motorisation 1600 cm3 turbo en DTM. La Baby est un exemplaire unique qui n’a couru que deux fois, partant au musée dès sa tâche accomplie.
« Monsieur Le Mans » remportera encore les 24 heures à deux reprises avec Derek Bell, sur 936 en 1981…
… Puis en 1982 sur Porsche 956. Celle-ci est celle qui a terminé 2ème derrière celle de Jacky en 1982, puis 1ère en 1983.
Dans les années 80, Jacky sait que sa carrière en circuit est déjà bien remplie et que son ange gardien a déjà eu fort à faire pour le maintenir en vie. Il se tourne alors vers le Rallye Raid. Il remportera le Dakar sur Range Rover avec Claude Brasseur, avant de mener les offensives Porsche sur 911 et 959, tout en remportant ses dernières victoires au Mans et ses derniers trophées en endurance.
Il sera aussi en 1995 le premier à tenter l’aventure en solo avant de raccrocher son casque.
Quand nous avons rencontré Jacky au Mondial de l’Auto à l’automne dernier, avec sa modestie habituelle, il a tenu à nous rappeler que s’il n’avait pas eu les bonnes autos et les bonnes équipes au bon moment, il n’aurait pas connu une telle carrière. C’est aussi cela la marque des grands champions.
« Jacky n’est bon en rien ». « Ringmeister ». « Rainmaster ». « Monsieur Le Mans ». Que de chemin parcouru pour un homme !
Crédit texte et photos @ Raphael Dauvergne
Magnifique visite guidée Raph. Je savais que tu préparais cet article et l’attendais, mais là il est au delà de mes espérance. Un grand merci pour ce cours d’histoire remarquablement bien illustré sur la légende Jacky !