Quoi de plus classe que d’arriver au 2ème Concours d’Elégance Suisse en Rolls Royce ? Arriver en Rolls ancienne ? Bon d’accord ce serait encore plus mieux bien, mais ne boudons pas l’invitation de Rolls Royce Genève à venir essayer un modèle de la gamme 2017. L’année dernière nous avions pu découvrir la marque en prenant le volant d’une sublime Dawn, cette année nous glissons du côté obscur…
Une Ferrari est rouge, une Jaguar est RHD (Right Hand Drive, conduite à droite) et verte et une Rolls a la calandre chromée. Oui les clichés ont la vie dure et il est parfois difficile de s’en défaire ! Mais si on voit de plus en plus de Ferrari colorées, de Jag’ LHD (Left Hand Drive, conduite à gauche) et oranges comme la XE SV Project 8 par exemple, par contre une Rolls sans calandre chromée je n’y croyais absolument pas … jusqu’à l’année dernière et la présentation de la gamme Black Badge. La nouvelle avait un peu secoué l’establishment anglais tant l’appel du pied vers les superstars du foot anglais, les rappers californiens ou les riches amateurs d’automobiles voyantes des pays pétroliers était flagrant ! Deux modèles ont eu droit à cette griffe lors de la présentation, la statutaire berline Ghost et le luxueux mais sportif coupé Wraith, le cabriolet Dawn Black Badge venant tout juste de s’ajouter au sombre catalogue. Le chef voyant déjà d’un mauvais œil l’essai d’une caisse de plus de 2 tonnes et demi, je n’allais pas en plus tenter d’argumenter pour faire passer une berline, c’est donc vers le coupé Wraith que mon choix s’est porté pour la découverte de ce label Black Badge.
Black Badge, c’est quoi ?
Officiellement la déclinaison Black Badge a été présentée pour répondre à une clientèle plus jeune et plus dynamique en attente d’une réinterprétation du luxe Rolls Royce, dixit les jolies phrases marketing. Dans les faits les chromes disparaissent au profit d’un brillant sombre, pas vraiment noir non plus, mieux en accord avec des couleurs carrosserie très sombres et ainsi trancher avec des intérieurs plus clairs, un peu plus “bling bling” en résumé rapide. Les jantes subissent le même genre de traitement, fortes d’un diamètre de 21’’ qui remplit plutôt bien les passages de roues, elles sont en « fibre de carbone composite » et bien évidemment noires. Le plus marquant de la griffe BB reste la planche de bord qui, oh sacrilège, abandonne le bois au profit d’un « matériau que l’on retrouve sur les avions furtifs » : des fils d’aluminium sont cousus avec de la fibre de carbone avant d’être recouvert de 6 couches de vernis, cuit pendant 72h et poli-lustré à la main pour obtenir un brillant digne du standing Rolls Royce. Le résultat est impressionnant de profondeur et de brillant !
Le châssis bénéficie lui aussi de quelques améliorations par rapport à la Wraith standard, il gagne ainsi une suspension pneumatique retravaillée et la boite de vitesse automatique à 8 rapports promet 25% de gain de réactivité. Cela se traduit par un mode de fonctionnement un peu plus agressif, enfin moins “smooth”, par exemple elle rétrograde quelques tr/min plus tôt pour offrir plus de frein moteur. Si le V12 bi-turbo 6.6 litres ne gagne pas de puissance, les 632 ch offrant une puissance suffisante, le couple quant à lui fait un bon de 70 Nm pour grimper à 870, disponible sur la plage 1700-4500 tr/min, des chiffres digne d’une locomotive ! Et enfin pour s’accorder à une conduite qui se revendique plus dynamique, le freinage est lui aussi optimisé avec des disques prenant quelques cm de diamètre.
Un Coupé taille XXL
Découvrir le coupé Wraith tout seul au milieu de l’allée du Château de Coppet permet d’apprécier ses lignes et son harmonie. La face avant typiquement Rolls avec la calandre Parthénon bien au centre du tableau rassure, les phares modernes et élancés confirment que nous sommes bien au 21ème siècle. C’est finalement de profil que le coupé s’apprécie le plus, avec sa ligne plongeante et dynamique, laissant un cockpit élancé, non franchement c’est une belle auto qui en impose. Il n’y a finalement que la vue de plein arrière que j’apprécie un peu moins. Difficile à exprimer le sentiment qui s’en dégage, mais c’est certainement dû au fait que je suis resté sous le charme du fessier de la Dawn absolument sublime. Ici il y a un petit je ne sais quoi qui me séduit moins, vraiment pour chipoter car l’ensemble est ultra réussi ! Si les roues semblent grandes quand on s’en rapproche, oui elles sont en 21’’, on en vient à se questionner sur la taille du coupé : ces grandes roues ne semblent pas si énormes quand on jauge l’ensemble. Il suffit de voir passer une Aston Martin DB11 à coté pour se rendre compte du soucis d’échelle, le Wraith est tout simplement… gigantesque !! Un coup d’œil sur la fiche technique confirme les mensurations de la diva : 5m28 de long, 1m95 de large pour 1m51 de haut ! Ces chiffres ne vous parlent pas beaucoup ? Si vous visualisez une BMW Série 5 (G30), rajoutez lui 35 cm en longueur, un petit 10 en largeur et 5 cm de haut pour avoir un Wraith tout chaud. Gros bébé n’est-ce pas ? Certes le Black Kirsh lisse un peu l’ensemble mais colle plutôt bien au Black Badge. Contrairement à ce que je pensais, les 4000 (oui quatre milles !) coloris carrosserie sont disponible en finition Black Badge, comme en témoigne la Ghost bleu layette un peu plus loin. Mais quitte à faire son bad boy, je suis d’avis de la prendre bien sombre !
Gentleman, start your engine
Allez assez détaillé la bête, le moment est venu d’ouvrir la grande porte … vers l’arrière. Quelle invitation au voyage quand la lumière illumine l’intérieur ! Irrémédiablement le regard est attiré par le pavillon étoilé qui a fait la réputation des Rolls ces dernières années, mais rapidement le regard redescend sur les sièges blancs aux surpiqures turquoises. Voilà qui pourrait paraitre osé pour ne pas dire un brin vulgaire, mais la qualité de finition est telle que l’ensemble éclabousse de classe. C’est un peu timide que je m’installe dans ce fauteuil club proposant massages, climatisation ou chauffage tandis que mon hôte m’indique que « comme dans toute bonne BMW d’entrée de gamme, les réglages électriques se font via les petits boutons en bas de l’assise » . Quelques clics et bzzzz plus tard me voilà bien installé, reste à descendre un peu le volant pour me sentir à l’aise. Enfin sentir à l’aise car bien installé, mais à l’aise par rapport au morceau de voiture qui se trouve devant moi, un peu moins. Allez je remonte un peu le siège pour essayer de voir le nez du bateau, pardon la Flying Lady, black bien-sûr ! Avant de larguer les amarres, une petite pression sur le bouton « Door » pour voir l’immense porte se refermer en silence sans le moindre effort.
Une petite pression sur le bouton « Start » cette fois, hop le V12 s’ébroue dans un silence absolu et sans la moindre vibration. Serais-je à bord d’une… Prius ? J’actionne le frêle et élégant levier de sélection de la “boitoto” pour se mettre en position Drive, toujours sans le moindre tressautement ! Mon pied droit essaye de s’échapper de l’épaisse moquette en laine de mouton pour soulager la pédale de frein et se glisser sur celle de droite, ça y est le tapis volant est en mouvement… Les premiers kilomètres dans la campagne genevoise permettent de toiser le format de l’engin, se placer sur la route et constater combien une Audi Q5 semble toute petite à coté de nous. Par contre la bête a beau être sombre et sans chrome, difficile de ne pas faire tourner les têtes sur notre passage, pourtant à des vitesses tout à fait réglementaires. Le rythme s’accélère tout doucement, le feeling de la direction est assez déroutant, oui quelques infos remontent, bien filtrés, mais tourner le volant requière une énergie ridiculement faible. En discutant de ce ressenti avec mon guide, membre du team démonstration de la maison mère de Goodwood, il m’indique que le petit bouton « Low » sur la commande de boite devrait répondre à mes attentes.
« Low » pour ne pas dire « Sport » car ce serait un peu shocking dans une Rolls ! Ce mode durci un peu les suspensions, donne plus d’agressivité à la boite en tirant les rapports plus longtemps, réduit le temps de réponse à l’accélérateur et d’après lui rend la direction … différente. Le résultat n’est pas stupéfiant sur la direction, par contre il l’est sur la boite : les passages de vitesses se ressentent, incroyable cette Wraith me bouscule, un tout petit peu il est vrai, le bas du dos lors du passage des vitesses et la moindre minuscule pression sur l’accélérateur catapulte la bête ! Et ce mode catapulte arrive plutôt bien puisque nous approchons de l’entrée d’une portion d’autoroute allemande entre Genève et Nyon. Clignotant, roues droites et gazz, la poussée est … surnaturelle. Puissante et franche mais douce et absolument pas vulgaire. Difficile à imaginer comme concept, c’est pourtant cette sensation de force inépuisable qui s’exprime à chaque pression franche sur la pédale de droite. Ça pousse très fort, il suffit de voir en combien de temps le tachymètre passe de 110 à 180 km/h, mais jamais les occupants ne sont violentés ni même bousculés. Alors oui on se sent un peu plus incrusté dans les sièges, mais s’égrènent sans à-coup, et fort de l’étagement des 8 vitesses alimentées par le couple gigantesque et constant, l’accélération semble réellement sans fin : moi gros V12 gavé par mes 2 turbos je déverse ma puissance aux roues AR, la limite c’est ton pied droit ! Après quelques runs, pardon quelques sollicitations de l’accélérateur pour des dépassements effectués en sécurité, on réalise que ces perfs assez hallucinantes (le 0 à 100 km/h est annoncé en 4.5 secondes) sont faites à bord d’un engin plus gros qu’une Série 5 et faisant le poids de 5… Caterham : la Wraith Black Badge est annoncée pour 2435 kg à vide ! Nul besoin d’être physicien pour se rendre compte que propulser avec autant de célérité une telle masse est une prouesse tout à fait remarquable. Avec la vitesse de défilement du paysage, je n’ai pas eu le loisir de surveiller en continu la jauge de réserve de puissance qui remplace le compte tour, mais je suis certain qu’en plus je ne suis jamais allé chatouiller le dernier quart du compteur…
Un dragster agile
Accélérer super fort sur l’autoroute c’est cool, mais on s’en lasse vite, qu’en est-il sur les routes sinueuses ? On voit pouvoir le savoir tout de suite, puisque nous sortons de l’autobahn pour se faufiler entre les vignes. L’engin est large et imposant, chaque fois que je croise un autre petit usager de la route, je sers ma droite (et les fesses), mais maintenant que le paysage se découvre offrant plus de visibilité la Wraith se déchaine et enroule les virages avec une déconcertante facilité. Comme sur le reste de la gamme la boite de vitesse discute avec le GPS pour anticiper au mieux les relances, sans doute que ça aide, mais une nouvelle fois les 870 Nm se montrent redoutables. La bonne surprise vient de la suspension qui, même en mode normal, digère extrêmement bien les mouvements de caisse. Gros freinage Milady ne plonge pas du nez, en accélération l’avant ne se déleste pas non plus, et surtout sur les changements vifs d’appuis le roulis est quasi inexistant, disons juste suffisant pour ne pas déranger les passagers. La performance est là aussi assez épatante ! Un large rond-point arrive, il suffit de braquer le volant et d’accélérer à loisir pour que la voiture suive le cap à la vitesse requise en toute sérénité et s’en sorte sans le moindre déhanchement vulgaire. Toujours cette sensation un peu bizarre au volant, mais nul doute qu’une fois accoutumé le coupé doit être d’une efficacité redoutable quel que soit le terrain de jeu.
C’est peut-être bien là l’atout majeur des Rolls modernes : être aussi à l’aise sur le terrain historique du confort au long court et du luxe grâce à sa finition et sa suspension, que sur le plan de la performance bête et méchante grâce à ses moteurs explosifs et des châssis affutés. Avec cette griffe Black Badge la maison mère ajoute et revendique ce petit côté bad boy dynamique qui rajeunit l’image de voiture de Lord Anglais et s’ouvre à de nouveaux clients fortunés. La maison mère BMW s’y connait en la matière, mais force est de constater que l’évolution dans le respect de la tradition est une recette qui fonctionne : Rolls Royce aligne les records de vente d’année en année. N’en reste que cet exemplaire de Wraith Black Badge est affiché à doux tarif de 326 925 Euros, hors taxe, le prix de l’exclusivité et du luxe… Même si je ne suis pas dans la cible, non pas que je n’assume pas mon côté caché “bling bling”, mais plutôt pour de sombres questions de finances, je dois avouer qu’un tel vaisseau est sans aucun doute une fabuleuse machine pour se déplacer. Quelle que soit votre envie du moment elle saura s’y adapter pour faire le job à la perfection voir même un peu mieux !
Crédit photos @ Ambroise Brosselin