A deux ans, j’aimais les voitures. A trois ans je voulais être pilote. A dix ans, pilote de formule 1. A quinze ans pilote aux 24 heures du Mans. Mais à l’aube de mes cinquante ans, je n’avais encore jamais participé à la moindre compétition automobile. Alors quand ma merveilleuse femme m’a demandé ce qui me ferait plaisir comme cadeau de demi-siècle, je lui ai répondu « soit un week-end avec Angelina Jolie, soit participer à une course de voitures ». J’ai été gâté.
Se lancer dans le sport automobile n’est pas si simple que cela. Déjà il y a une question de budget. Ce n’est pas un scoop. Mais surtout il y a la question de l’adéquation entre ce que l’on peut se permettre financièrement et ce qui a un sens.
Mon cousin adoré s’est lancé dans le grand bain il y a quelques années, après avoir tâté du karting dans sa jeunesse. Tourisme Trophy Endurance en Seat Leon ou Porsche 911 GT3 (lire ici), Midget 2 litres et cette année GT4 European Series. « Viens rouler avec moi, ce sera sympa ! ». Bien sûr mec. Je n’ai jamais expérimenté la course en peloton et je vais m’y coller avec une voiture que j’aurais déjà du mal à tenir hors des bacs à graviers en étant tout seul sur la piste. Si c’est pour me traîner en queue de peloton parce que je ne sais pas me servir de l’auto, non merci.
Non, ce qu’il me fallait, c’était une voiture accessible pour un pilote débutant, pas trop impressionnante tout en restant amusante.
Et devinez quoi ? La réponse, invariablement, reste “La Mazda MX-5 bien sûr” ! Une voiture sympa à regarder, amusante à conduire et que je connais bien par ailleurs. Et coup de bol, il existe en France un championnat monomarque dédié à la MX-5 : la Roadster Pro Cup. Organisé par Philippe Gosset, cette compétition visite 8 circuits en 2022, de Spa-Francorchamps au Castellet.
Prise de contact
C’est décidé, c’est donc la Roadster Pro Cup qui verra éclore un nouvel espoir du sport automobile français en 2022. Il me faut juste trouver une voiture à louer. Deuxième coup de bol, Philippe Gosset est aussi le patron de Nogaro Sport qui commercialise le kit pour faire de la “Miata” une voiture de course. Et il loue des voitures pour participer.
A Noël 2021 je prends donc contact et signe pour une course. Ce sera au Val de Vienne, en septembre, une semaine après ma sortie de quarantaine (pour rentrer en cinquantaine je veux dire).
Les dés sont jetés. J’ai neuf mois pour me préparer. Physiquement (un peu), mentalement (beaucoup). Au programme, un petit régime, histoire de passer dans l’arceau-cage, un entrainement sur console pour être en mesure de garder ma concentration pendant une course un peu longue, et un trackday au Val de Vienne, en Lotus Elise, en juin pour découvrir le circuit. Car oui, découvrir à la fois la voiture, le circuit et la course en peloton, ça me semblait un peu trop.
Et comme le championnat faisait un stop à Magny-Cours en mars, je décidais de passer en spectateur pour découvrir l’ambiance.
C’est exactement ce que j’attendais. Une ambiance décontractée, des voitures super sympa à voir (et entendre) rouler. Des courses animées à toutes les places (jusqu’à 45 voitures en piste, ça en fait des places pour lesquelles se bagarrer).
Ni une ni deux, je dévalisais le stand Oreca pour m’équiper. Casque, combi, sous-vêtements ignifugés. La totale. « Allo chérie ? Bon, j’ai dépensé 25% du budget avec six mois d’avances. »
Me voici donc comme Panpan le lapin en train de trépigner et compter les jours. Mais commence à monter aussi une légère appréhension. Est-ce dû à Christian, un éminent membre du Club Lotus France qui file un coup de main à un pote sur la Roadster Pro Cup qui me dit « Ta (future) voiture, elle joue le top 10. Mais t’en fais pas. Si t’es ridicule je ne le dirais que sur le forum du club… ». Ou bien au cousin « T’es un Lagrange, tu ne peux pas être en queue de peloton quand même ? ». Ou juste mon égo qui supporterai mal de ne pas être dans le coup ? Saperlotte, c’est un second dépucelage en fait : tellement envie de le faire, mais tellement peur de ne pas être à la hauteur. Surtout si on a prévenu les copains que ça allait arriver.
T’inquiète pas, ça va bien se passer…
Le grand jour est arrivé. On est jeudi 8 septembre 2022, j’arrive sur le Circuit du Val de Vienne. Première chose à faire, prendre possession de la chambre à la Résidence des pilotes. C’est propre et pratique. Juste à l’entrée du paddock. Et puis j’ai droit, ce week-end je SUIS pilote !
Quelques formalités à faire auprès de la direction de course pour prendre la licence provisoire, récupérer le bracelet de pilote (c’est dingue ce que ce petit bout de plastique représente pour moi !). Puis je vais voir Philippe et Agnès Gosset, ainsi qu’Angelina. Oui, J’en suis resté à mon idée de cadeau initiale. C’est donc comme cela que j’appellerai ma petite poupée bleue et rose tout le week-end.
Agnès me lance : « Ah oui, au fait tu ne m’as pas fait le chèque de caution. » Brusque rappel à la réalité. En compétition automobile, tu casses, tu payes. Il va falloir dormir là-dessus.
Vendredi matin, la majorité des concurrents sont arrivés. Je me présente à Franck, membre du Club MX-5 France (LeTransporteur). Il me donne le meilleur conseil du week-end : « Amuse-toi, et surtout fais en sorte de repartir avec ton chèque de caution. »
Mon programme du jour est simple, deux sessions d’essais privés en matinée pour m’acclimater à la voiture.
La première session est « mixte ». C’est-à-dire que je vais rouler avec des voitures inscrites dans d’autres catégories de l’Historic Tour. De la 911 GT3, de la Corvette C3 réplique de celle d’Henri Greder aux 24H du Mans 1970. De quoi se mettre à l’aise tout de suite. Et ça ne rate pas. Après quelques tours prudents, je me sors dans le « trop vite », ce double droit à l’entrée de la grande ligne droite. Pas beaucoup, mais me voilà dans le bac. Et plutôt que de revenir sur la piste j’essaye de longer les pneus pour ressortir plus loin. Raté, me voilà posé sur le ventre.
Retour aux stands, Jules (le fils de Philippe qui s’occupera de ma voiture pour le week-end) remarque vite que j’ai fait une incartade, même si j’ai pris bien soin de vider les graviers des bas de caisse sur le bord de la piste en rentrant…
La seconde session se passe mieux. Il n’y a que des MX-5 en piste, mais malgré tout ça bagarre déjà velu. « Ah mais c’est rien ça ! Attends dimanche et les courses, là ça bastonne pour de vrai. » Merci Philippe, encore une bonne nuit en perspective.
Fini la rigolade, c’est pour la postérité !
Samedi, jour de qualifications.
En théorie ce n’est pas différent d’une session de trackday : tu roules tout seul en essayant d’aller vite. Sauf que là c’est pour de vrai. Il y a des vrais chronos assurés par la FFSA, il ne faut pas juste « aller vite », mais aller « le plus vite possible ». Et à la fin de la session, j’aurais pour la première fois mon nom sur un vrai classement.
Ceux qui jouent la pole sont déjà en pré-grille 30 minutes avant l’appel. Moi, je vais me la jouer humble. Partir en dernier et laisser du champ libre aux autres furieux. Le mot est choisi, car je me retrouve derrière 3-4 pilotes qui se bagarrent comme des chiffonniers. Résultats, je suis gêné, je n’arrive pas à avoir un tour clair. Alors à la guerre comme à la guerre. Je dépasse et claque mon temps.
19ème. Bon. Je m’étais fixé d’être dans le top 20, j’y suis. De justesse, mais j’y suis. Ça veut aussi dire que je serais au milieu de la meute demain… « Te mets pas la pression mec ! Prends du plaisir ! »
Voilà que débarque le Club MX-5 France, venu soutenir les deux membres en compétition. C’est sympa d’avoir un fan club. Surtout que les Gosset les ont invités à prendre l’apéro le soir. De chouettes rencontres qui me permettent de me détendre. Et comme en plus ils m’autorisent à les rejoindre au resto (avec Carlos Tavares – qui pilote une Ralt RT3 Alfa Romeo de 1983 – en plus…Mais pas à la même table), j’arrive à bien me déconnecter de ce qui m’attends le lendemain.
En sortant du resto je repasse à proximité du paddock Roadster Pro Cup. La fête bat son plein. Philippe et Agnès m’avaient prévenu que les concurrents étaient tous copains. Ce n’était pas pour la blague : ça chante, ça rigole…Moi j’ai ma première course qui m’attend demain, mieux vaut aller se coucher.
Si tu as un coup…Une opportunité…
Dimanche. Je me brosse les dents avec « Lose yourself » (Eminem) dans les oreilles. Motivation à 200%. C’est mon grand jour. Celui que j’attends depuis près de cinquante ans.
Chaussettes. La droite, puis la gauche. Toujours (non, c’est pas vrai, c’est la première fois). Combinaison, bottines. Le casque à la main, avec les gants et la cagoule à l’intérieur. Je marche vers le paddock. Comme au ralenti parce que c’est plus classe. « Profite ! Cinquante ans d’attente ! Retiens tous les détails. La lumière, les sons, les odeurs. Objectif : Top 20 au moins, Top 15 si possible. »
Jules à vérifié qu’Angelina va bien. Philippe me donne ses derniers conseils « évites les pièges, pas de risques inutiles. » Agnès veille sur tout le monde avec un sourire bienveillant.
En pré-grille je chantonne « Sirius » (Alan Parson Project). Ambiance arrivée des Chicago Bulls dans le stade, période Michael Jordan. Note pour mon fils : je préfère toujours les Lakers, mais « I love LA » (Randy Newman) c’est pas la bonne ambiance aujourd’hui.
10h, course 1, départ 19ème…
Les feux rouges sont tous allumés. Puis éteints. 35 Miata rugissent à l’unisson pour se ruer vers le premier virage.
J’ai l’impression d’avoir fait un bon départ, mais assez vite je me fais dépasser à gauche, puis à droite. Je laisse l’espace pour éviter l’accrochage, ouvrant la porte à d’autres concurrents. Les pneus crissent au freinage, je laisse encore passer une paire de voitures. A l’entame du second tour j’ai perdu huit place.
« Luc…La force ! ». Albanwan Cousinobi, mon maître m’apparaît. « Tu ne vas quand même pas te laisser enrhumer par tous ces garçons coiffeurs ?! »
Non ! C’est l’heure de la charge ! Je repasse un concurrent. Puis un autre. Et c’est 5 tours de bagarre acharnée qui commencent. On se passe, se repasse, et je réussis à gagner encore quelques places. A la mi-course j’ai réussi à m’extraire d’un peloton bien excité, mais devant, c’est déjà trop loin, et trop vite, pour que je puisse espérer revenir à la régulière. C’est l’heure de mettre à profit mes heures d’entrainement sur Assetto Corsa. Objectif : ne pas perdre la concentration et enquiller les 5 tours qu’il me reste sans faire d’erreurs.
Classement final : 20ème. Objectif encore atteint et si j’ai perdu une place, au moins je me suis bien amusé c’est l’essentiel.
16h, seconde course : Je repars 19ème (il y a eu un forfait)
Mon départ est bien meilleur cette fois. Je reste plus ou moins à ma place. Jusqu’à ce que ça s’accroche dans le « trop vite ». Un gros carton qui laisse deux voitures sur le carreau et déclenche un safety car. Je suis content, j’ai évité les morceaux et j’ai l’impression que j’ai gagné quelques places dans la panique.
Au restart, je tiens ma position. On se bagarre encore avec deux autres concurrents et je réussis à avoir le dessus. Devant un autre groupe n’est pas très loin, mais je n’arrive pas à remonter. Par contre, j’ai fait le trou derrière.
Jusqu’à ce que je voie la Mazda aux damiers rouges et blancs passer mon poursuivant direct. Aïe. J’ai en tête que lui, il se battait devant dans la première course. Il a dû être gêné dans la bousculade du premier tour. « Mon pépère, il te reste 4 tours à tenir. Vite et propre c’est ta seule chance. »
Propre je le suis. Vite, pas assez. Massimo (puisque j’apprendrais ensuite que c’est son prénom) remonte irrémédiablement. Rien à faire, à l’amorce de la ligne droite dans l’avant dernier tour il renifle mon pare-chocs, prend l’aspiration, déboite et me fait l’intérieur au freinage. Je décroise et me voilà en position préférentielle pour l’épingle suivante. Je reprends ma position. Mince, je viens de faire un remaked’Alesi sur Senna (Phoenix 1990) !
Mais comme Jeannot, je dois rendre les armes. Dernier tour, Massimo ré-édite la manœuvre sans se faire surprendre ensuite et il ne se laissera pas intimider jusqu’au drapeau à damier.
Classement final : 14ème. RAAAAAAHAAAAAN ! Quel pied ! Philippe Gosset me félicite. Tout fier, je lui montre Angelina. « Tu as vu ? Pas une égratignure en plus ! ». Je me précipite ensuite vers Massimo (qui ne me connait pas). « Waaaaah ! C’était génial ! ». Il a dû me prendre pour un fou…Pas grave.
Jalon
Sur la seconde marche du podium de milieu de plateau (d’ailleurs faudra que je pense à demander les règles de calcul), je savoure cette première expérience en compétition automobile.
Il avait raison Steeve : “la course c’est la vie. Tout ce qu’il y a avant et après, c’est de l’attente”.
Car entre le moment où les feux se sont éteints et celui où le drapeau à damier a été agité, j’étais dopé à l’adrénaline, tous les sens en alerte. Voir tous les mouvements des autres concurrents autour. Entendre le moteur monter dans les tours et les pneus arriver à la limite du grip. Sentir l’odeur des pneus et des freins chauffés lors de freinages limites. Percevoir l’équilibre d’Angelina dans mes doigts, mes fesses (pas de mauvais esprit s’il vous plait). Réfléchir à la prochaine manœuvre pour dépasser, ou se défendre. Ces 22 tours de course, je les ai vécus à 150%. Le cerveau en accéléré pour tenter de tout processer. Donnant l’impression que le temps s’étire.
Et depuis, je ne pense qu’à cela : recommencer au plus vite !
Crédit photos @P. Morel, H. Laroche, mx5-80, Ph. Lagrange
Il n’est jamais trop tard…. Éclate toi, défoule toi, bravo Phiphi.
Sacré récit ! J’ai regardé la vidéo, ça se bagarre sévèrement… On aperçoit d’ailleurs un ou deux kamikazes qui n’ont pas l’air d’avoir peur de taper.
Merci pour le partage de cette expérience, on est vraiment avec toi ! Bravo d’être aller au bout de ton rêve (et visiblement pas ridicule derrière le volant en plus !) 😉