Je vous propose cet été de replonger dans l’histoire des partenariats horlogers en découvrant ou en redécouvrant des montres étonnantes, décalées ou spectaculaires liées à une voiture d’exception. 5e pièce : le chronographe Spyker.
Aujourd’hui, je reviens sur l’histoire d’une marque horlogère éphémère liée à l’automobile. Éphémère car elle n’a malheureusement vécu qu’un peu plus d’un an. Il s’agit de Spyker Timepieces, une collection de montres conçue en collaboration et pour le célèbre constructeur hollandais de sportives de prestige.
Spyker a toujours eu une histoire à part dans l’univers automobile. Fondé en 1880 par les frères Hendrik Jan and Jacobus Spijker, il produit sa première voiture en 1898. Au début de la 1ère guerre mondiale, il fusionne avec la Dutch Aircraft Factory N.V. et fabrique des avions de combat, d’où son logo à hélice. A la fin de la guerre, le constructeur hollandais relance la production automobile dont le style est inspiré par l’aviation, à l’image de la C1 Aérocoque de 1919. Il disparaît en 1925 et renaît en 2000 grâce à l’avocat hollandais Victor R. Muller, grand passionné d’automobiles de prestige. Spyker Cars N.V. va produire des sportives de prestige qui se distinguent par leur style néo-rétro décalé et leurs performances exceptionnelles : C8 Spyder, C8 Laviolette, C8 Double 12 S, D8 Peking to Paris, C8 Aileron et plus récemment B6 Venator (lire ici) et C8 Preliator (lire ici). Il va également développer un programme sportif pour renforcer sa notoriété. Il s’engage ainsi en 2006 en Formule 1 en rachetant l’écurie Midland F1 Racing, sans véritable succès. Il aura nettement plus de succès en endurance avec le Spyker Squadron qui obtiendra de beaux résultats dont une 5e place en catégorie GT2 lors des 24 Heures du Mans 2009.
Fort de ses succès, Victor Muller demande en 2010 à Expression d’Artistes International S.A. de concevoir, fabriquer et distribuer une collection de montres “Spyker Timepieces“. Cette société genevoise créée en 1995 est spécialisée dans l’horlogerie et la joaillerie de très grand luxe ; elle est dirigée par Thierry Chaunu et Jean-François Vernochet qui ont acquis une longue et solide expérience dans le domaine de l’horlogerie et la joaillerie. Ils ont travaillé ensemble chez Cartier lorsque le premier était Senior Product Manager et le second responsable de l’usine Cartier de briquets-stylos près de Paris.
Les deux firmes signent un accord de licence mondial et développent une collection unique de montres de qualité suisse aussi exclusives que les supercars néerlandaises. On ne peut qu’apprécier cette démarche innovante de Spyker qui aurait pu choisir de s’associer à une manufacture horlogère qui aurait produit des montres basées sur un modèle existant orné du logo du constructeur automobile. C’est fidèle à la devise de la marque : « Nulla Tenaci Invia Est Via » (“pour le tenace, aucune route n’est impossible”).
Le résultat est présenté le 12 juin 2010 par Victor Muller et Thierry Chaunu lors de la 78ème édition des 24 Heures du Mans, course dans laquelle est engagé le constructeur néerlandais depuis 2001. Pour la petite histoire, la collection a été entièrement développée en seulement quatre mois, un record dans le monde de l’horlogerie !
« Je suis très heureux que les valeurs de raffinement et de performance associées à la marque Spyker soient représentées à un tel niveau dans la collection horlogère Spyker. Etant moi-même un admirateur de longue date de montres d’exception, j’ai personnellement collaboré au dessin et à la conception de la collection horlogère Spyker » déclarait à l’époque Victor Muller, patron de Spyker. Pour Thierry Chaunu, le but était « de procurer aux propriétaires de montres Spyker les mêmes émotions qu’ils ressentent au volant d’une voiture Spyker ! ».
La montre
Le chronographe Spyker s’inspire de la dernière-née des supercars néerlandaises : la C8 Aileron présentée en 2009 au salon de Genève. Il semble sortir des mêmes chaînes de montage tant il retranscrit à la perfection le style du constructeur de prestige. Une réussite à mettre au crédit de Benjamin Muller, le directeur artistique de EAI, qui a su adapter à l’horlogerie le design si particulier des Spyker (il dessinera plus tard la fameuse Epic X pour Jacob & Co). On est ici dans la même approche que pour le fantastique Cvstos Pagani Zonda F Chrono où il y a fusion entre montre et voiture.
Le chronographe Spyker est décliné en quatre séries limitées numérotées de 1000 pièces en acier, 250 en or gris 18K, 250 en or rose 18K et 1000 en titane traité PVD noir. Comme pour les sportives néerlandaises, chaque montre peut être personnalisée à la demande du client (coloris du cadran et du bracelet, gravures particulières).
Le boîtier de grande taille – 44 mm de diamètre – assure une forte présence au poignet. Il est étanche à 100 mètres. La lunette est gravée de la devise du constructeur hollandais que l’on retrouve sur la carrosserie de la C8 Aileron. D’autres éléments du design sont repris de la sportive, à l’image de la couronne en forme de bouchon de réservoir d’essence frappé du logo à hélice, des deux poussoirs du chrono semblables aux sorties d’échappement, de la carrure évoquant les prises d’air ou encore de la masse oscillante – visible par le fond transparent – reprenant le motif des jantes à rayons.
Le cadran évoque le tableau de bord en aluminium bouchonné des Spyker. Le client peut aussi opter pour un fond noir ou blanc.Il reçoit quatre compteurs semblables à ceux de la C8 Aileron qui affichent les heures et minutes du chrono, la petite seconde et la réserve de marche en forme de jauge à essence. Les aiguilles en acier bleui sont microbillées et luminescentes.
On reste dans l’ambiance surannée de l’intérieur de la C8 Aileron avec le bracelet réalisé dans le même cuir et avec les mêmes motifs surpiqués que les sièges sport signés Sparco. Il provient du célèbre sellier hollandais Hulshof et est entièrement réalisé à la main par l’atelier français Bouveret. Il est disponible en plusieurs coloris : orange (couleur nationale des Pays Bas), noir ou blanc. Il se fixe au poignet au moyen d’une boucle déployante ou d’une boucle ardillon.
Pour animer cette belle pièce, les concepteurs ont fait la même démarche que Spyker en allant piocher le moteur horloger chez un fabricant reconnu de mouvements suisses. Elle est équipée d’un calibre Valjoux 7750 automatique, un mouvement aussi éprouvé et performant que le V8 Audi de la C8 Aileron. Il a reçu plusieurs modifications pour l’adapter aux besoins en supprimant la date et en intégrant la réserve de marche de 42 heures. Il a également fait l’objet de décorations haut de gamme pour être raccord avec le haut niveau de finition des Spyker.
Mon coup de cœur va à la version en acier dotée d’un cadran couleur aluminium bouchonné, de compteurs vert de gris et d’un bracelet orange. C’est celle qui pour moi évoque le mieux l’univers Spyker.
A noter qu’une série spéciale était réservée aux propriétaires de Spyker qui pouvaient faire graver le numéro de châssis de leur voiture sur le fond du boîtier et choisir plusieurs personnalisations comme un boitier en platine, une lunette sertie de diamants ou encore un bracelet reproduisant exactement la sellerie de sa voiture. Une vingtaine de pièces a été réalisée.
Les tarifs oscillaient de 8000 € pour la version acier à plus de 20000 € pour les versions en or. Tout comme les supercars hollandaises, les montres sont distribuées dans un réseau de détaillants triés sur le volet, dont la maison Colette rue Saint Honoré à Paris bien connue des amateurs de belle horlogerie.
Malheureusement, la belle histoire s’arrêta brutalement l’année suivante en 2011 en raison des grosses difficultés financières du constructeur de prestige et de son rachat par un fond privé américain. Le contrat de licence devint caduc et ne sera pas renouvelé.
Trouver une montre Spyker à vendre relève aujourd’hui du parcours du combattant. En effet, en raison de l’arrêt prématuré du contrat de licence, la production n’a jamais atteint le nombre de pièces prévu initialement pour chaque version. Et pourtant, j’en ai trouvé exceptionnellement deux chez un vendeur américain de voitures de prestige : une version acier et une en titane noirci proposées à $20.000, soit 17.000 € environ. En raison de leur rareté, leur prix explose logiquement, comme les voitures éponymes.
Caractéristiques techniques
Boîtier : 44 mm de diamètre, acier / or rose 5N 18K / or gris 18K / titane traité PVD noir, étanche à 100 mètres, verre saphir traité antireflet, fond vissé avec glace saphir, couronne et poussoirs cannelés ;
Cadran : acier / noir, finition perlée, quadricompax, aiguilles des heures et minutes microbillées, index luminescents, aiguille centrale des secondes du chronographe, compteur de la petite seconde à 9h, totalisateurs des heures et minutes du chronographe à 6h et 12h, indicateur de réserve de marche à 3h ;
Mouvement : calibre Valjoux 7750 remontage automatique, 25 rubis, fréquence de 28800 alternances/heure (4 Hz), réserve de marche de 42 heures ;
Fonctions : heures, minutes, petites secondes, chronographe, réserve de marche ;
Bracelet : cuir hollandais Hulshof orange / noir / blanc et surpiqures selliers personnalisées Spyker, boucle ardillon / déployante ;
Editions limitées : 1000 (acier) / 1000 (titane) / 250 (or rose) / 250 (or gris) pièces ;
Prix (à l’époque) : 8.200 € (acier, déployante) / 7.500 € (acier, ardillon) / 23.500 € (or blanc, déployante) / 20.200 € (or blanc, ardillon) / 23.300 € (or rose, déployante) / 20.000 € (or rose, ardillon) / 9.500 € (titane, déployante) / 8.800 € (titane, ardillon).