Petite histoire de F1 atypiques. Pour moi, la plus intéressante des expositions de ce Rétromobile 2017 concerne les F1 expérimentales, souvent sans suite. Elles explorent des voies de recherche de performance, pas toujours au bénéfice de l’esthétique… Pour le salon, le stand Richard Mille a réuni quelques-unes de ces raretés.
BRM P67 – Châssis 670-P – 1964
Dessinée par l’ingénieur Tony Rudd, cette BRM à V8 1.5 L – conformément au règlement du début des années 60 exigeant de petites cylindrées – est mue par une transmission intégrale Ferguson.
La P67 sera inscrite au GP de Grande Bretagne à Brands Hatch pour Richard Attwood. Après de mauvaises performances en qualifications, la voiture est finalement retirée par l’équipe et ne prend pas le départ de son seul et unique Grand Prix. Pour le reste, c’est une voiture représentative de l’état de l’art de l’époque avec sa caisse monocoque en Duralumin.
Après cette expérience non concluante, BRM se lancera dans un autre audacieux projet : le moteur H16 3 litres consistant à l’empilement de deux flat-8 et reliant deux vilebrequins indépendants. Une mécanique ultracomplexe qui causera beaucoup d’ennuis, mais qui était conçue dès l’origine pour pouvoir être traversée par l’arbre de transmission destiné aux roues avant, au cas où les 4 roues motrices s’avéraient être une voie d’avenir.
Les prochaines tentatives de transmission intégrale en F1 interviennent en 1969 et sont le fruit du travail simultané de plusieurs équipes. La raison commune ? La forte puissance des moteurs 3 litres et notamment du V8 Ford-Cosworth DFV qui est déjà la référence. Tout le monde cherche du grip. Rappelons que les ailerons viennent de faire leur apparition… Lotus, McLaren et même Cosworth se lancent dans l’expérience 4WD et Matra fait de même. Un des points communs est l’échec : toutes ces autos, quand elles parviennent jusqu’à la compétition, s’avèrent lourdes, lentes et difficiles à conduire. Seule la Matra parviendra à marquer des points au championnat.
Cosworth F1 4WD – Châssis 1 – 1969
Sous la houlette de Robin Herd, l’officine de Mike Costin et Keith Duckworth s’essaye à la conception d’une F1 expérimentale. Elle s’avère inconduisible et ne dépassera pas le stade des essais.
A remarquer, l’usage de mallite (composite balsa/Duralumin) pour la monocoque, le bloc DFV évidemment, le développement embryonnaire d’appendices cunéiformes que l’on retrouvera bientôt sur la Lotus 72, et cet aspect particulièrement “bricolé”.
On notera aussi l’utilisation de roues identiques à l’avent et à l’arrière ainsi qu’un léger décalage de l’ensemble du cockpit sur le coté gauche : il faut faire de la place pour l’arbre de transmission qui entraîne les roues avant.
Lotus 63 – Châssis 1 – 1969
Le grand Colin Chapman adapte la transmission intégrale sur une voiture assez proche de la référence de l’époque, la Lotus 49. Cependant, on peut voir les prémisses de la Lotus 72 de 1970 tant par le dessin “en coin” que par les freins inboard avant et arrière. Côté piste, c’est un échec. Graham Hill la teste et refuse de la conduire à nouveau, la qualifiant de “deathtrap”. Jochen Rindt fait de même et c’est finalement à John Miles et Mario Andretti qu’elle sera confiée pour une expérience qui durera 7 Grands Prix sans le moindre point. “Less light is not that right…”
McLaren M9A – Châssis 1 – 1969
La jeune écurie de Bruce McLaren est la dernière à tenter elle aussi l’expérience en 1969 avec la M9A de Jo Macquart. Elle est confiée au jeune Derek Bell en plus des McLaren officielles pour le GP de Grande-Bretagne à Silverstone. Les performances sont mauvaises et l’abandon est rapide sur bris de suspension. Quelques jours plus tard, le patron lui-même teste le véhicule. Verdict : “Piloter la M9A, c’est comme faire votre signature avec quelqu’un qui bouge votre coude en permanence”. Projet abandonné.
Tyrrell P34 – Châssis P34/6 – 1977
Nous sommes désormais à l’orée de la saison 1976. Chez Tyrrell, Derek Gardner cherche des voies d’amélioration pour la Tyrrell 007 et accouche de l’une des idées les plus radicales de l’histoire de la F1. Le constat part de la taille devenue monumentale des slicks des F1 et de la traînée qu’ils génèrent. Avec des pneus de avant plus petits, on diminuerait d’autant la traînée, et on pourrait compenser la perte de pouvoir directionnel, et même gagner du grip avec un second train de pneus avant placé juste derrière. Problème, il faut convaincre GoodYear de fabriquer des pneus spécifiques pour le Project 34.
La P34 devient une star de la décennie 70 avec son aspect pareil à aucune autre monoplace. Le succès est aussi là : la P34 se montre compétitive et signe rapidement un retentissant doublé au Grand Prix de Suède, Jody Scheckter devançant Patrick Dépailler. Les deux pilotes se placent 3eme et 4eme au championnat derrière un certain Hunt et un certain Lauda… mais c’est une autre histoire.
Pour 1977, la P34 est améliorée mais une mésentente avec GoodYear mène à l’arrêt du développement des gommes avant. La performance de la P34 plonge et malgré 4 podiums, Ronnie Peterson et Patrick Depailler ne peuvent plus suivre. Pour 1978, Tyrrell revient à 4 roues et la P34 reste la seule Formule 1 à six roues à avoir couru et gagné. Mais cela a donné des idées à certains…
La P34 présentée est conforme à son aspect du GP de Monaco 1977. A noter les aspects techniques, deux trains de pneus avant demandent de doubler les suspensions, les disques et les écopes de freins… et créent des besoins inattendus comme celui de voir les petites roues à travers le carénage, d’où les petites fenêtres.
March 2-4-0 – Chassis 1 – 1977
Robin Herd (encore lui !) officie maintenant chez March et est intéressé par la P34. Mais selon lui, ce ne sont pas les bonnes roues que Tyrrell a doublées. En remplaçant les énormes pneus arrière d’une March 781 par 4 pneus avant, le gain aérodynamique est évident, le flux d’air sous l’aileron arrière est nettoyé, le grip est amélioré au bénéfice de la traction, et enfin, ce sont des pneus avant qui sont employés, éliminant la difficulté rencontrée par Tyrrell.
Max Mosley sent que comme la P34, l’idée peut générer un énorme engouement médiatique. Respectant les conventions ferroviaires, la voiture est baptisée 2-4-0 (2 roues en tête, 4 roues motrices, 0 roues en queue).
Côté conception, la difficulté se situe du côté de la boîte de vitesses qu’il faut adapter, allonger et renforcer. Le projet sera abandonné pour des raisons financières. La voiture ne dépassera pas le stade de prototype.
Ce n’est pas la fin de l’aventure 6 roues et/ou 4 roues motrices puisqu’en 1977, Ferrari essaye aussi de mettre 4 pneus arrière sur sa F1 mais sur le même essieu (une arme anti-dépassement ?) et qu’en 1982 Williams essaye une FW08B a 4 pneus arrière sur le concept de la March. Le niveau de performance extraordinaire entrevu en test – qui s’ajoute à l’effet de sol et le renforce même – force les instances à réagir et a interdire les 4 roues motrices. Dans les années 80 le nombre de roues sera enfin fixé à 4 afin d’éviter d’aller vers un championnat de chenillettes.
Crédit photos @Raphael Dauvergne