Lorige, jeune marque franco-suisse, crée des montres hors normes usinées à partir des plaquettes de freins de prototypes engagés aux 24 Heures du Mans. Un concept unique qui a récemment séduit Peugeot Sport qui revient cette année en endurance. Rencontre exclusive avec les deux fondateurs de cette marque atypique.
Présentation
Rémy Solnon : Bonjour Emeric (Paraud). Vous avez fondé avec Clément Etienvre la marque horlogère Lorige en 2018. Pouvez-vous tout d’abord vous présenter et nous dire quels ont été vos parcours professionnels respectifs ?
Emeric : C’est pour nous un plaisir de parler de Lorige et d’en expliquer la genèse. Pour ma part j’ai commencé par l’école Sbarro, qui forme au prototypage automobile, puis je me suis spécialisé dans les matériaux composites hautes-performances et c’est après cette formation que j’ai intégré l’écurie Oak Racing.
Clément : Mon parcours est principalement scientifique et technique avec un premier poste dans un bureau d’études pour l’industrie au début de ma carrière suivi d’une bifurcation vers ma passion, le sport automobile et la technique. J’ai ainsi intégré le sport automobile de haut niveau il y a cinq ans avec la participation en tant que staff technique à plusieurs championnats d’endurance de monoplace et d’historique. Ce milieu intimement lié à la technique et à la mesure du temps m’a naturellement amené à m’intéresser à l’horlogerie.
RS : Comment êtes-vous venus à l’horlogerie ?
Emeric : Lorsque qu’on est passionné de sport automobile, des moteurs de course, des réglages châssis au millimètre, on ne peut que tomber amoureux de l’horlogerie et de ses mouvements mécaniques ajustés à la loupe. C’est ce parallèle qui nous a séduit dès le départ. Une fois qu’on a mis le nez dedans, c’était trop tard pour faire demi-tour.
La manufacture
RS : Pouvez-vous nous présenter LORIGE et son concept ? D’où vous est venue l’idée de concevoir une montre usinée à partir des plaquettes de frein de prototypes engagés en endurance ?
Clément : Durant nos années de sport automobile, nous avions pris pour habitude de garder des éléments des voitures que nous faisions rouler à des fins de mémoire et de décoration. Commençant de mon côté à travailler pour le CEO d’une grande marque horlogère suisse, mon intérêt pour l’horlogerie grandissait de jour en jour et je partageais cela avec Emeric. Après l’idée en 2016, s’en sont suivis de nombreux essais pendant 2 ans et demi pour trouver une méthode de retraitement du carbone. Nous en sommes donc arrivés à créer Lorige en 2018, avec l’envie de partager nos passions (la technique et le design) et nos savoirs dans un projet commun. L’idée du nom Lorige a été dérivée du mot “aurige” désignant les pilotes de char de l’époque romaine, avec pour intention de garder à l’esprit la genèse de notre marque.
RS : Où et comment sont distribuées les montres Lorige ?
Emeric : Nos montres sont disponibles directement via notre équipe, cela nous permet d’avoir une relation privilégiée avec nos clients et de leur faire passer notre passion. Cependant, nous avons aussi un revendeur parisien, la boutique Fréret-Roy située à deux pas de la Place Vendôme. La prochaine étape pour nous, c’est Monaco, puis les Etats-Unis, on avance petit à petit, on veut faire les choses correctement et ne pas s’éparpiller.
RS : Quelle est votre clientèle ?
Emeric : Nous avons tous les profils, du chef d’entreprise jusqu’au pilote des 24H du Mans. Le dénominateur commun c’est tout de même la passion pour le sport automobile, qu’elle soit peu présente ou très forte. Notre clientèle est 100% masculine pour l’instant mais cela évoluera dans le futur.
Les montres
RS : Il vous a fallu trois ans pour développer le processus de traitement des plaquettes de frein pour les adapter aux contraintes de l’horlogerie ; un processus que vous avez d’ailleurs breveté. Pouvez-vous nous expliquer ce process et les difficultés que vous avez pu rencontrer avec le carbone/carbone ?
Clément : Le carbon/carbon est une matière très résistante aux chocs thermiques ainsi qu’à la friction à haute température. Cependant, lorsque cette matière est brute, elle est très poreuse et friable au niveau des arêtes. Ainsi, le premier constat que nous avons pu faire au début de l’expérience en 2016 est que cette matière n’était pas du tout destinée et donc utilisable dans l’horlogerie, sans retraitement. Ainsi, après beaucoup d’essais, nous en sommes arrivés à une méthode de retraitement qui consiste à réinjecter de la résine au cœur de la matière permettant ainsi de créer un caisson étanche, ce qui n’est pas commun dans l’horlogerie. En effet, la plupart des marques qui utilise du carbone le font de manière décorative avec un caisson métallique caché sous le carbone permettant d’étanchéifier le garde-temps ce qui d’un point de vue technique est beaucoup plus simple mais dans ce cas, le carbone n’apporte rien de plus que de l’esthétique.
RS : Combien de temps est-il nécessaire pour produire un boitier à partir du moment où vous récupérer une plaquette de frein ?
Clément : A l’heure actuelle, pas moins de 6 étapes d’usinage consécutives sont nécessaires pour la fabrication d’un boitier entrecoupée de phases d’injection de résine. Ces nombreuses étapes complexes nécessitent une trentaine d’heures pour passer de la matière brute du carbon/carbon à un boitier terminé.
RS : Avec quelles sociétés travaillez-vous pour la transformation des plaquettes et la fabrication des autres pièces ?
Emeric : La fabrication des boîtiers est réalisée en interne, c’est pour nous très important puisque c’est la base de notre société et du concept. Pour les autres pièces, les pièces extérieures (lunette, couronne etc.) sont faites à Genève chez Régence Production, tout comme les pièces de mouvement qui sont ensuite assemblées dans le Jura Suisse. Le bracelet en caoutchouc est fabriqué chez Biwi dans le Jura Suisse également, même l’écrin est fait près de Fribourg. Au-delà du boitier qui est fait en France, nous avons une montre 100% faite en Suisse.
RS : Comment avez-vous convaincu les teams qui vous fournissent les plaquettes de s’associer à vous ?
Clément : Grâce à notre expérience de plusieurs années dans le sport automobile, les portes sont plus faciles à ouvrir car nous connaissons personnellement les acteurs de ce milieu. De plus, il semble que notre projet qui fait plus que s’inspirer du sport automobile parle aux équipes. Ainsi, ils participent avec plaisir en s’investissant au maximum comme United Autosports, TDS Racing et même Peugeot Sport.
RS : Vous avez lancé votre premier modèle en 2020 : la BL-Endurance. Pouvez-vous nous présenter ce modèle ?
Emeric : Bien sûr, notre tout premier modèle ! C’est l’aboutissement de 3 ans de réflexion et de conception. Tout d’abord, pour nous le point de départ était de récupérer des freins ayant couru, sinon nous n’aurions jamais créé Lorige. L’idée est de posséder un morceau qui a permis de décélérer un prototype au bout des Hunaudières en passant de 320 à 80km/h en à peine 3 secondes. En parallèle de la recherche sur le retraitement des freins en carbon/carbon, nous nous sommes penchés sur le design. Dès le départ, on a voulu une forme tonneau, à la fois élégante et sportive. Il a fallu créer la montre autour du boîtier car c’est lui qui a dicté le chemin à suivre étant donné que nous voulions un cadran monobloc avec la carrure, très complexe à réaliser au niveau de l’usinage. Le calibre a été dessiné et conçu en association avec la manufacture Timeless qui réalise la plupart des étapes à la main. Le mouvement de forme affiche l’heure et les minutes et est équipé d’un indicateur de réserve de marche et d’une masse périphérique, ce qui permet d’avoir une vue dégagée sur le squelettage des ponts. On a voulu une montre qui parait simple dans son design afin d’en apprécier les courbes, en revanche cela implique une architecture complexe et qui est donc encore plus difficile à fabriquer et à assembler. Pour ceux qui se poseraient la question, “BL” signifie “Brake Late”, ou “freine-tard” en français, petit clin d’œil à notre matière de base et qui nous permet de rappeler que le freinage est souvent la clé de la victoire en course.
RS : Votre nouveau modèle – la BL-Endurance “Hyperblack” présentée sur Automotivpress récemment, a été conçu avec Peugeot Sport. Comment s’est nouée cette collaboration prestigieuse avec un constructeur 3 fois vainqueur des 24 Heures du Mans ?
Emeric : Plutôt facilement en fait, il se trouve que depuis quelques mois on voulait sortir une montre « full black » faite avec des freins ayant servi lors du développement d’une nouvelle voiture. Quand on a vu que Peugeot revenait au Mans avec une nouvelle voiture, on s’est dit que ce serait parfait ! On leur a soumis l’idée courant 2021 et ils ont bien accroché dès le début et ça s’est fait comme ça. Je pense que notre vision nouvelle de l’horlogerie et la qualité de nos produits les a séduits.
RS : Quelle garantie offrez-vous sur vos montres ? Où est réalisé leur entretien ?
Clément : Nos garde-temps sont garantis 5 ans avec la condition de réaliser l’entretien des 3 ans. Nous avons mis ce premier entretien à 3 ans, ce qui est assez rapide mais cela s’explique, comme indiqué plus haut, par le fait que le carbone sert à faire l’étanchéité contrairement à la plupart des autres marques qui fonctionnent avec des caissons étanches en métal caché sous le carbone. Cette construction oblige à avoir des joints en contact avec le carbone qui est une matière plus abrasive que le métal. Ainsi, même en utilisant la meilleure qualité de joint, une vérification de leur état reste nécessaire pour éviter les problème d’étanchéité.
RS : Pourquoi avoir choisi de développer un mouvement spécifique au lieu de prendre un mouvement générique suisse, comme le font de nombreuses marques qui se lancent ? Qui a développé le calibre LOR-PR01 ?
Emeric : C’est une très bonne question, on aurait pu se contenter de prendre un mouvement catalogue et le mettre dans notre BL-Endurance. Ce n’est pas la vision que nous voulons pour Lorige, il est très important pour nous de pouvoir s’exprimer sur tous les éléments de la montre, si en plus on ouvre le cadran pour laisser apparaitre la mécanique, alors la question ne se pose même pas, il fallait que ce soit notre propre calibre.
Questions personnelles
RS : Pour revenir à vous, quelles sont vos marques horlogères et/ou montres préférées ?
Emeric : J’adore la façon avec laquelle Bulgari joue avec son Octo Finissimo, c’est vraiment une superbe montre, fine est sportive. Sinon j’aime beaucoup l’élégance des modèles de chez FP Journe.
Clément : J’ai plusieurs modèles chers à mon cœur mais l’un des principaux reste l’Octo Finissimo de Bulgari qui est pour moi une magnifique pièce horlogère avec des versions qui se complètent parfaitement, une très belle association de la technique et du design, une montre reconnaissable entre toutes.
RS : Je présume que vous êtes des passionnés d’automobiles d’exception. Quelles sont vos marques et/ou voitures préférées ?
Emeric : Je suis passionné de voitures japonaises depuis tout petit, donc j’adore tout ce qui est Lancer Evolution, Skyline GT-R, Honda NSX… J’adore également la précision allemande d’une 911, et ce moteur ! Le bruit des 911 GTE Pro est magnifique, le plus beau du paddock actuellement en endurance, et de loin !
Clément : J’ai un attachement particulier pour les Bugatti 35C ou B. En effet, je partage cette passion avec mon père et j’avoue être particulièrement attiré par le savoir-faire artisanal et les séries limitées des modèles de chez Bugatti se situant entre l’art et l’automobile.
RS : Quelle est votre « Graal » horloger ?
Emeric : Hormis le prochain modèle de chez Lorige, une Bulgari Octo Finissimo tourbillon !
Clément : Octo Finissimo Tourbillon Carbon
RS : Et votre « Graal » automobile ?
Emeric : Une Skyline GT-R R34 Z-Tune, la version routière ultime de la R34 préparée par Nismo, même si une Carrera GT ne me déplairait pas !
Clément : Comme expliqué ci-dessus, une Bugatti 35B pour la partie historique et peut-être une Ferrari F12 TDF pour la partie moderne avec ce magnifique hommage à la 250 GT ayant gagné les Tour de France en 1957, 1958 et 1959. À noter aussi la sonorité de ce modèle avec l’un des derniers V12 atmosphérique à admission variable.
Un grand merci à Emeric Paraud et Clément Etienvre d’avoir répondu aux questions d’Automotivpress.fr. Vous pouvez retrouver la présentation de la montre Lorige BL-Endurance Hyperblack ici.