Au cours du demi-siècle passé, chaque Ferrari apporta sa contribution à l’édification du prestige de la marque. Certaines incarnent le mythe à la simple évocation de leur appellation mais toutes ne limèrent pas l’asphalte des circuits du globe. Il arrive que des modèles majeurs, sans considération de gros sous, rejoignent la galerie des modèles produits sans plus de considération. Par son architecture, la Ferrari 330 GTC distingue la première Ferrari grand tourisme moderne. Plus de quarante ans après sa présentation, son confort et son comportement routier, rares pour l’époque, résultent de solutions techniques encore appliquées sur une F12 Berlinetta, par exemple.
330 GTC, une 275 GTB en robe du soir
Au milieu des années soixante la gamme Ferrari se scinde en cinq modèles. La 330 GT2+2 affiche ses prétentions familiales. Échappée des circuits, la 275 GTB satisfait une clientèle avide de compétition. La 500 Superfast, la Ferrari de tous les superlatifs, s’adresse à une clientèle choisie. Enfin, la 275 GTS extrapole la 275 GTB dans une version cabriolet à la ligne proche des futures 330 GTC. Bien que variée la gamme reste incomplète sans un vrai coupé grand tourisme depuis la disparition de la fameuse 250 GT « Lusso » fin 1964 et celle annoncée des 500 Superfast courant 1966, après seulement trente sept voitures produites.
En mars 1966 au salon de Genève, l’officine de Maranello présente un modèle pivot de son histoire. Souvent désignée comme une 275 GTB en robe du soir, la Ferrari 330 GTC adopte une architecture moderne et toujours contemporaine pour ce troisième millénaire. La suspension, la transmission, la lubrification et le refroidissement moteur, l’ergonomie et le confort de l’habitacle révolutionneront la conception des Ferrari des décennies futures.
Carrosserie et Châssis
Conçue et réalisée chez Pininfarina, la carrosserie combine les lignes des Ferrari de l’époque. Réalisée en acier, cette dernière intègre un capot en aluminium fixé à une armature acier isolée. Le dessin du nez dérive de la 500 Superfast . Le volume arrière reprend le dessin de la 275 GTS. Les finitions sont particulièrement soignées à l’image de l’habitacle couvert de cuir Connolly. Le pavillon central intronise le confort sur les Ferrari de « grande série ». Bien que confortable, la « Lusso » semble spartiate face à la 330 GTC dont le pare-brise et l’importante lunette arrière favorisent visibilité et luminosité.
Le bois agrémente la console sur laquelle nous trouvons les magnifiques tachymètre et compte-tours cerclés d’aluminium et respectivement étalonnés à 300 km/h et 7000 tr/mm. Entre ces derniers les thermomètres d’huile et d’eau ainsi que le manomètre d’huile s’y logent. Sur la partie haute de la console, nous trouvons l’indicateur de niveau d’essence, la montre et l’ampèremètre. Notons la présence sur la console centrale d’un interrupteur actionnant une pompe électrique de carburant dont nous détaillerons le fonctionnement. Une boule de bakélite noire singularise le levier de vitesses qui ne dispose pas de la version aluminium réservée aux modèles de compétition. A cette époque, Enzo Ferrari incarne le marketing et veille à ne pas mélanger les genres.
Option disponible, la climatisation fonctionne avec un compresseur de marque Borg-Wagner tout comme les vitres électriques en option dénotent la vocation grand tourisme de la 330 GTC. L’espace aménagé derrière les sièges ajoute au volume du coffre un espace de rangement.
Bien agencé, le coffre arrière loge facilement un set de valises. La roue de secours y trouve place encastrée dans le réservoir d’essence sous un panneau amovible. Une enveloppe de fibre de verre recouvre le réservoir en aluminium afin de le protéger tout en assurant son isolation thermique.
Comme le précise le carnet de bord ; « La dotation de clefs et outils, pour les opérations de vérification et de réglages, que l’utilisateur peut effectuer directement, se trouvent dans une trousse à outils située dans le coffre arrière ». A la vue de la dite trousse à outils très complète, l’on peut se poser la question de son utilisation pour un propriétaire néophyte en mécanique mais quelle aubaine pour le collectionneur ! Ainsi parmi les dix-neuf ustensiles recensés nous trouvons ; un pistolet à graisse, une courroie pour alternateur SV754, une clef spéciale pour bougie, des outils pour démontage des filtres à huiles, etc… Il faut croire que l’usine Ferrari avait une haute opinion de ses clients quant à leur capacité de s’introniser mécaniciens !!!
Tradition à Maranello, le châssis hérite d’une architecture tubulaire en acier néanmoins plus moderne que celle dessinée sur la série 250. Bien que modifié pour assurer le montage d’un moteur de 330 GT revu, ce dernier (tipo 592 C) dérive peu de celui équipant les 275. Les ingénieurs ont maintenu l’empattement de 2400 millimètres des berlinettes 250 et 275. Les numéros de châssis (c/n) sont compris dans l’intervalle 6431,11613.
Suspensions, freins et roues
La 275 GTB est la première Ferrari de route équipée de roues arrières indépendantes. La 330 GTC hérite ainsi de ses doubles triangles superposés sur les trains avant et arrière. Seul différence notable, notre modèle adopte des ressorts acceptant une charge supérieure, ils sont combinés à des amortisseurs Koni conçus spécialement pour les GTC. Fait marquant, après quelques années les ressorts se tassaient, mais étonnamment, la seule installation d’une entretoise réglait le problème. Cette dernière trouve place entre le siège et la base du ressort restaurant ainsi une hauteur de caisse normale. Petite différence néanmoins avec les 275, les suspensions avant des 330 furent modifiées pour faciliter leur réglage. Des barres anti-roulis devant et derrière parfont de conférer à cette GT une tenue route exceptionnelle pour son époque. Le poids global de la voiture à vide s’élève à 1363kg.
A la différence de ses contemporaines, des freins à disque Girling sont montés sur notre voiture marquant une avancée indéniable en matière de freinage. Équipée d’étriers à 3 pistons, les freins assurent une efficacité supérieure au modèle Dunlop de la série des berlinettes 275. Le système de freinage Bonaldi remplacera le Girling à partir du c/n 10400 (#10400).
Après étude, il s’avère que trois types de jantes équipèrent la GTC. La jante Campagnolo de dimension 14 x 7 en alliage léger, dont une majorité équipa notre modèle, innove par son style. Nous retrouverons cette dernière sur les 275 GTB/Competizione. Plus rare est le modèle de 14 x 61/2 monté sur les premiers modèles. En option, La maison de Milan Borrani proposa pour ce châssis une jante «filaire» référencée RW 4039 de 14 pouces de hauteur et 7de largeur. Si l’on excepte les quelques Michelin XVR adoptés sur les dernières 330 GTC produites, la monte de pneus Pirelli 210x14HS et Dunlop 205 HRx14SP caractérisa l’ensemble de la production.
Moteur et Transmission
Par son architecture, la disposition du groupe « propulseur – transmission » se conforme à l’identique à celle d’une Ferrari F12 Berlinetta. Alors que le moteur prend place à l’avant, le groupe boîte de vitesses/différentiel se positionne sur le train arrière de la voiture. Un tube d’acier, véritable « colonne vertébrale » solidarise rigidement ces deux entités distinctes garantissant leur alignement. Notons que la boîte de vitesses se boulonne sur le différentiel. Tournant au régime moteur, l’arbre de transmission loge à l’intérieur de ce tube qui assure un alignement parfait du système de propulsion. Connu sous la désignation Transaxle nous retrouvons cette technologie aussi bien sur les dernières Ferrari 456 MGT, 575 Maranello et F12 Berlinetta, elle favorise l’équilibre des masses.
Compte tenu de la vocation première de la 330 GTC, l’utilisation d’un moteur à la souplesse reconnue en utilisation urbaine s’imposait. Le choix porta donc sur le bloc type 209 exploité à l’époque sur la Ferrari 330 GT 2+2. Ce dernier nécessita quelques aménagements nécessaires à son installation sur le châssis type 592 C notamment par l’usage du « Transaxle » d’où la nouvelle désignation 209/66. Pour la première fois le moteur repose sur des tampons en caoutchouc. Ferrari abandonne ainsi la fixation rigide sur le châssis éliminant les vibrations. Autre nouveauté, le bloc moteur est assemblé au châssis via seulement deux supports.
D’une cylindrée totale de 3967 cm3 d’où 330 cm3 unitaire, ce 12 cylindres en V développe une puissance de 300 ch au régime de 6800 tr/mn et fournit un couple maxi de 33,2 Mkg à 5000 tr/mn. Le bloc et les culasses sont fondus dans du silumin, alliage de silicium et d’aluminium. En comparaison de la course de 58,8 mm du moteur de la 275, celle de 71 mm de la 330 augmente sa plage d’utilisation en favorisant sa souplesse. L’alésage est commun avec 77 mm. Le vilebrequin en acier forgé repose sur sept paliers. La lubrification est à carter humide. Chaque culasse reçoit un arbre à came standard, le fameux « Lampredi » entraîné par chaîne. Des rampes de culbuteurs actionnent les soupapes qui forment entre elles un angle de 54°.
Des pistons Borgo à taux de compression 8,8:1 sont utilisés. Sur leur partie supérieure, Ils se distinguent par une forme bombée et légèrement incurvée à l’emplacement des soupapes d’admission et d’échappement. Trois carburateurs double corps verticaux Weber 40DCZ 6 alimentent les 12 cylindres, ils seront ultérieurement remplacés par des 40 DFI 2 (c/n > #9600). Les chaînes d’entraînement des arbres à came migrèrent de la conception triplex à celle duplex plus simple (c/n > #9600).
Durant la production plusieurs modifications furent apportées. Les pompes à eau furent changées (c/n > #10400). Le système d’alimentation du circuit d’essence constitué d’une pompe mécanique assistée d’une pompe électrique FISPA évolua avec l’installation de pompes électriques jumelles BENDIX (c/n > #10700).
Rituel quasi-religieux, le démarrage à froid du 12 cylindres mérite que l’on reporte mot à mot le processus associé dans le carnet de bord : « Mettre le levier de changement de vitesses au point mort. Tirer le levier du starter et enclencher la pompe électrique. Tirer le levier du starter en position 3. Pousser à fond la pédale d’embrayage, attendre que la pompe électrique soit sur le point de s’arrêter, et mettre en route, sans accélérer. Si après mise en route le moteur s’arrête, donner un à deux coups d’accélérateur et recommencer la mise en route. Lâcher la pédale d’embrayage, le moteur tournant.
Quand le moteur tourne normalement, dés-enclencher la pompe électrique et fermer progressivement le starter, de manière à maintenir le régime du moteur aux environs de 2000 tours, le faire tourner pendant deux minutes en été et trois minutes en hiver.
Fermer complètement le starter et utiliser la voiture, sans cependant accélérer à fond jusqu’à ce que l’huile n’a pas atteint la température d’au moins 60°. S’assurer quand l’huile est chaude (90° à 100°) que les valeurs des pressions – maxima et minima ne sont pas inférieures à celles signalées dans le tableau suivant (p.36). Vérifier que l’ampèremètre marque charge quand on accélère le moteur ».
Notez que la pompe à essence additionnelle électrique peut être enclenchée en utilisation intensive, par exemple sur circuit.
Sur ce modèle, l’usine apporta une attention particulière au circuit de refroidissement d’huile qui à l’époque se résumé au carter en aluminium à ailettes sur la majorité des Ferrari !! Devant les problèmes de surchauffe de la gamme des Ferrari GT, il fut décidé d’y remédier sur la 330 GTC en cours de production. Dans un premier temps, l’usine testa l’installation d’une unité anglaise composée par deux radiateurs jumeaux mais ils s’avérèrent peu efficaces sur long trajet à haute vitesse. Une solution technique définitive fut préférée. Elle consista à intégrer le radiateur d’huile au radiateur d’eau sur sa partie basse (c/n > #10100). Cette architecture à l’avantage de favoriser une montée en température rapide de l’huile au démarrage du moteur tout en garantissant un refroidissement optimum en charge. Cet agencement sera repris sur les « Daytona » et 365 GT 2+2. Nous pouvons raisonnablement penser que la 330 GTC bénéficia des études menées sur la Daytona alors en phase de conception à Maranello.
L’exemplaire #9013 que nous avons vu ne bénéficiait pas d’un radiateur d’huile mais une solution originale fut trouvée. « Le système de refroidissement d’huile montée sur ma voiture est une invention d’un ami mécanicien. Il est inspiré de ce qui se fait sur beaucoup de Peugeot ; et en la matière, il a utilisé des échangeurs de 306 16-S. Cela consiste à remplacer les filtres à huile d’origine par deux ensembles échangeur/filtre qui sont connectés sur le circuit d’eau de refroidissement du moteur. Cela permet de rouler avec une température d’huile qui ne dépasse pas de plus de 10° la température d’eau du moteur. Il est à noter qu’un système analogue fut adopté ultérieurement par l’usine » confie le propriétaire.
Autre fait marquant, avec l’adoption des deux filtres FRAM PH 2804 puis FRAM PH 2804-1, la Ferrari 330 GTC marque une grande avancée dans la pratique du filtrage d’huile. Ces derniers s’avèrent très efficaces pour le maintien d’un débit constant dans le circuit de refroidissement d’huile. Notons que la 330 GTC fut la première Ferrari à recevoir un moteur recyclant les vapeurs d’huile émises par le carter moteur via un dispositif nommé « Blow By ».
Concernant la transmission, un embrayage monodisque à sec Borg&Beck accolé au moteur est adopté. Cet embrayage possède un asservissement hydraulique. Nous le retrouverons associé aux 12 cylindres des séries 365 et 400 qui finiront par lui préférer une unité double disque. Bien étagée et un peu lente, la boite de vitesses dispose de cinq rapports. La première, un peu longue, monte à 80 Km/h, la seconde à 120 Km/h, la troisième à 160 km/h, la quatrième à 210 km/h et la cinquième à 240 Km/h. A cette vitesse les malheureux 90 litres du réservoir ne suffisent pas pour parcourir de longs trajets sans escales intempestives. N’oublions pas que cette voiture fut produite à une époque où la limitation de vitesse n’existait pas en France !
Évolutions diverses
Après avoir été construite à seulement 600 exemplaires, la 330 GTC finira sa carrière fin 1968. Cette même année au salon de Paris, elle héritera du moteur de 4390 cm3 et deviendra la 365 GTC. De même, sa cadette atteindra les 600 exemplaires produits. Une version cabriolet de la 330 GTC, la 330 GTS, succédera à la 275 GTS et sera présentée au salon de Paris 1966. Seulement 100 exemplaires sortiront des chaînes de montage de Maranello. Concernant la 365 GTC, sa version décapotable, la 330 GTS, ne dépassera pas les 20 modèles.
Dans les années soixante les personnalisations radicales distinguaient souvent les passionnés de la marque. La 330 GTC ne dérogea pas à cette coutume tacite. Une série de quatre modèles (#9439, #9653, #10107, #10241) à carrosserie spéciale marqua les esprits. Une de ces voitures, destinée à l’épouse du roi de Belgique; la Princesse Liliana de Rethy, anticipa le dessin des futures Ferrari. Beaucoup plus étrange, un de ses modèles est équipé d’une manette coté siège conducteur qui actionnée ouvre la porte passager, sûrement une innovation pour PlayBoy fatigué !
Bien des années après sa production la Ferrari 330 GTC hante peu la mémoire des « Ferraristes ». Construite à l’époque de la fameuse 275 GTB, sa médiatique cousine dont les succès en compétition rangèrent notre modèle dans la galerie des succès d’estime, la 330 GTC métamorphosa la production de la marque en associant confort et performances de haut niveau dans un même modèle. De nos jours, la fabuleuse F12 Berlinetta assume pleinement le rôle dévolu en son temps à la 330 GTC ; une Ferrari grand tourisme discrète aux performances exclusives, que l’on pourra voir lors du prochain Retromobile.
Sources Club Ferrari
Philippe Campana