Dans le cadre de notre dossier Rétrofit nous avons fait le point sur la règlementation française (article « Retrofit, plus facile à dire qu’à faire ») et essayé la MX-5 de E-Roadster se calant sur cette règlementation, nous avons cette fois-ci rencontré Emmanuel et Flavien, fondateurs de RoadSport Electric Cars. Leur approche est radicalement différente de celle de E-Roadster. Et leur création risque de faire grincer quelques dents. En effet c’est la mythique 911 qu’ils ont convertit à l’électrique.
Sacrilège !?
Une légende cette 911. Tête de gondole de la marque Porsche depuis maintenant bientôt 60 ans elle a évolué à de nombreuses reprises. Et rares sont les fois où les plus intégristes ont apprécié la nouveauté. Les pare-chocs « accordéons » à la fin des années ’70, les feux « œuf sur le plat » de la 996, autant de changements esthétiques décriés à l’époque. Mais ce n’est rien comparé aux outrages subis par le flat 6 mythique : passage au refroidissement liquide avec (encore) la 996 (lire notre essai ici), turbo généralisé sur la 992, s’il y a bien quelque chose qu’il ne faut pas toucher, c’est le moteur six cylindres à plat de la 911, au risque de s’attirer les foudres des puristes.
Imaginez donc l’accueil que peut recevoir ce projet de rétrofit d’une 911 classique : une 911 SC de 1982.
Mais avant de rentrer dans le vif du sujet, un peu d’histoire sur ce projet original.
Pour la beauté du défi
Emmanuel et Flavien sont deux amis passionnés de voitures de sport, de circuit et accessoirement de Porsche (mais pas que…). Leur 911 SC n’était pas initialement destinée à passer à l’électrique, mais à devenir une bête de circuit. Pour cela la carrosserie large (Turbo look) et les trains roulants améliorés (freinage de Porsche Boxter, suspensions sport, barre de torsion durcie à l’avant et à l’arrière et pneus de 225 à l’avant et 255 à l’arrière) devaient permettre à la belle allemande de bien tenir le pavé.
Sauf qu’en cours de route, l’idée du rétrofit s’est invitée. Entre les projets de règlementation à l’étude par le régulateur et l’intérêt pour le défi d’une technologie nouvelle, les deux compères ont changé leur fusil d’épaule : adios le track-toy, ce sera finalement un projet bien plus complexe qui verra le jour.
Au programme, un moteur d’origine Tesla (“small drive unit”, pour un poids contenu de 75 kg) et 8 modules (4 à l’avant et autant à l’arrière) de batteries de BMW i3 (lire notre essai ici). Pour le contrôleur moteur, il est spécifique et bénéficie d’un software développé en projet open source (pour les non informaticiens, disons que le code informatique est libre de droits). La cartographie est pour le moment optimisée pour éviter la surchauffe des batteries et, de fait, il n’est pas nécessaire de surcharger la voiture avec un système de refroidissement spécifique. Bien sûr, en cas d’utilisation intensive sur circuit ce serait une autre histoire, mais pour une utilisation routière, cela semble suffire.
Pour mener à bien leur projet, Emmanuel et Flavien ont sollicité le partenariat de la société EV Romania, spécialiste de la conversion électrique qui, nous le verrons plus loin, a fait bien plus qu’apporter une expérience technique dans la conversion elle-même.
Le résultat de ce rétrofit 911 en chiffres ? un poids total d’environ 1 200kg (soit approximativement le poids d’origine de la SC), une puissance de 194 kW (258 ch) et un couple de 330 Nm. Comparés aux 204 ch et 27 mkg (264Nm), c’est une nette amélioration des performances qui est attendue. L’autonomie quant à elle ressort entre 250 et 300 km en conduite normale (ni trop sport, ni trop tranquille).
Si vous avez bien lu l’article sur le rétrofit précité, vous aurez noté que les 25% d’augmentations de la puissance ne sont pas en conformité avec la directive rétrofit française.
Que faire d’une législation inapplicable ?
Emmanuel est très clair, pour lui, la directive rétrofit n’est pas applicable et, de fait totalement inutile. Si la position peut paraître très tranchée, force est de constater qu’à date il parait difficile de trouver un modèle financier viable pour commercialiser des véhicules rétrofités. A part pour un grand constructeur pouvant se permettre de gros investissements d’homologation, les acteurs artisanaux ont bien du mal à trouver des solutions. Alors que pour E-Roadster, la solution viendra peut-être de la commercialisation en dehors de nos frontières de kits à monter, histoire de générer les fonds suffisants pour passer les épreuves de l’homologation française, RoadSport Electric Cars mise sur une stratégie différente.
Le partenariat avec EV Romania a permis d’obtenir une homologation locale en Roumanie nécessitant des frais bien moindre. L’inconvénient est que cette homologation nationale n’est pas transposable hors Roumanie et ne permet pas une immatriculation dans tous les pays (dont la France). Alors pour contourner le problème, RoadSport Electric Cars peut vous proposer un pack rétrofit composé de la transformation de votre 911, de la création d’une société en Roumanie pour immatriculer et assurer le véhicule qui bénéficie de l’homologation nationale Roumaine, permettant légalement de rouler partout en Europe (tant que la voiture reste immatriculée en Roumanie). Il ne vous reste plus alors qu’à la ramener pour l’utiliser en France, avec son immatriculation Roumaine.
La solution n’apparaît pas comme particulièrement simple, mais au moins est-elle conforme à la législation.
Mais place à l’essai de la bête.
Sexy le grille pain…
La 911 RoadSport Electric Cars a une sacrée gueule. Certes elle n’a plus grand-chose à voir avec la SC d’origine. Les pare-chocs de 964, le look turbo, le côté haut sur pattes dû à l’absence de bas de caisse pourront faire tiquer, mais pour un non Porschiste comme moi, elle est tout de même super sexy. Les superbes jantes bi-colores (message à Hoonited Team : c’est joli ici le doré) sont en parfait accord avec la carrosserie noire agrémentée d’un bandeau doré ou la calligraphie Carrera est ici détournée pour un provocateur « Electric ».
Si la 3.2 (thermique) de mon ami Serge, qui sert d’étalon pour l’essai (je parle toujours de la voiture, hein…), est aussi très jolie en configuration d’origine, elle ne dégage pas la même bestialité. Franchement, si la noire était une voiture destinée au circuit, il ne viendrait à personne de critiquer la transformation esthétique.
A l’intérieur, la vocation pistarde prévue initialement est toujours d’actualité. Volant Momo, sangles pour ouvrir les portes, on est dans une voiture de sport, aucun doute. Les indices de la motorisation électrique de la bête se retrouvent sur les compteurs. Fini les tours-minutes, place aux Ampères, au niveau, la température de la batterie. Le tout cependant dans un tableau de bord conforme à l’original. Le levier de vitesse à disparu, remplacé par un commutateur pour passer de la marche avant à la marche arrière.
Car oui, le choix fait par RoadSport Electric Cars est de se passer de sélecteur de vitesses.
La réalisation pourra paraitre brute de décoffrage, mais à titre personnel, je trouve que cela donne un cachet terrible à la voiture. Moderne dans la technologie, mais ancienne dans les sensations déjà à l’arrêt.
C’était mieux avant ? Pas si sûr
Avant de prendre le volant de la 911 Roadsport Electric Cars, j’ai eu la chance de calibrer mon ressenti en prenant la route avec la 3.2 de Serge donc. Je n’avais comme expérience de cette génération de 911 qu’un rapide tour en passager datant de trois décennies. Je vous ai déjà dit que je n’étais pas Porschiste ? C’est marrant, parce que finalement, à chaque fois que j’ai eu l’occasion de conduire une Porsche, j’ai trouvé ça génial. Et la 3.2 thermique ne fait pas exception. La voiture est fantastiquement naturelle. Pourtant j’avais peur de l’effet sac à dos tant de fois raconté. Surtout qu’en cette matinée de janvier, la bruine s’est invitée à la fête. Et moi, je n’ai pas envie de planter la voiture de mon ami. Mais il ne faut que quelques kilomètres pour se sentir à l’aise dans la 911. Petite de gabarit, dynamique, confortable et très analogique, elle me rappelle les sensations ressenties au volant de la Nissan 300ZX (lire notre essai ici). Décidément les GT des années 80 et 90 vieillissent merveilleusement bien.
Après avoir recadré mon référentiel donc, je prends le volant de la belle noire. Malgré les réglages châssis plus fermes et la direction plus lourde du fait des pneus plus larges, il apparait très vite que la voiture renvoie la même sensation de nature dans le toucher de route. Si je n’ai pas vérifié balance en main le poids contenu après transformation, l’inertie dans les mouvements de caisse semble très proche de celle ressentie dans la 911 thermique. Avec une répartition du poids améliorée par rapport à l’origine (50 kg ont été transférés de l’arrière vers l’avant dans l’opération rétrofit), la 911 noire est peut-être même plus naturelle que l’originale.
Comme toute électrique, peu de bruits lorsque le contact est mis. C’est certes frustrant pour le passionné de flat 6, moins pour son voisin qui aime faire la grasse matinée le dimanche matin. Mais une fois en route, et je dis bien « route », le manque de bruit est beaucoup moins déstabilisant. Car il faut bien l’avouer, à moins d’avoir un pot Akrapovich et taquiner la zone rouge non stop, la conduite d’une 911 classique sur route reste un exercice dans lequel le moteur n’est pas trop sollicité. De fait, une fois dépassé les 50 km/h, le manque de bruit de moteur n’est pas flagrant, les bruits de roulement et d’air prenant le pas.
En contrepartie, la souplesse de l’électrique fait des merveilles. La voiture s’élance sans difficulté à toutes les vitesse (au moins jusqu’à 110km/h) et la pression mise sur la pédale de droite conditionne directement l’accélération. Un réglage aux petits oignons d’ailleurs. Car il est aussi facile de rouler tranquille que de lancer une belle grosse accélération. Parce que la 911 RoadSport Electric Cars n’a pas oublié comment on s’énerve. Emmanuel m’en fait la démonstration en provoquant une belle équerre à 70 km/h. Certes le sol est gras-mouillé, mais quand même, j’ai bien senti que la grenouille était prête à mordre.
Après quelques kilomètres, me voilà totalement sous le charme de la 911 électrique. Douce ou brutale à la demande, conservant le ressenti très mécanique d’une voiture de 40 ans d’âge, équilibrée et agile, elle s’avère au moins aussi homogène que la version thermique avec un surplus de bestialité à la demande.
Serge avec qui nous avons échangé le volant pendant la balade ressort de la voiture avec un grand sourire aussi : « C’est génial ! C’est très plaisant à conduire et on peut se concentrer complètement sur la conduite et le ressenti de la voiture en gardant toujours les deux mains sur le volant. »
Et le manque de bruit ? « Franchement les qualités par ailleurs compensent complètement ce manque. Il faut vraiment entrer dans un tunnel pour regretter le manque de musicalité mécanique. »
Recette revisitée avec succès
Le rétrofit est un exercice complexe. La règlementation française impose de rester au plus près des spécifications d’origine de la voiture en termes de poids et de puissance. Une volonté louable car on peut imaginer les pétards à mèche courte qu’il serait possible de réaliser avec la fée électricité. Des performances de Tesla Model S P100D (lire notre essai ici) dans une Triumph Spitfire ça promet de la viande sur les murs…
Mais en contrepartie, cela nivelle par le bas tous les bienfaits de ces nouveaux modes de propulsion. La Mazda MX-5 de E-Roadster est sympa, mais garde le côté un peu lymphatique de la version thermique d’origine.
En se soustrayant aux contraintes législatives hexagonales, RoadSport Electric Cars se donne le droit de rendre la 911 plus excitante. Une puissance accrue, un châssis amélioré, tout cela rend la réalisation extrêmement désirable. Et le surcoût du rétrofit plus pertinent par conséquent. Car au prix de la voiture donneuse, il faut ajouter environ 40 000€ de conversion rétrofit. Ce qui fait un billet de près de 100 000 € au final (avec une donneuse en bon état).
Bon point, le retour arrière reste possible car la structure de la voiture n’est pas modifiée.
La question reste entière : est-il pertinent de mettre 100 000 € dans une Porsche 911 rétrofitée ? S’il s’agit de faire un investissement financier, certainement pas.
Mais s’il s’agit de s’offrir une 911 différente, mais toujours excitante à conduire, alors oui, cela peut s’envisager. Si vous avez une vieille 911 avec un moteur en vrac, pourquoi pas tenter l’aventure ?
Conclusion
RoadSport Electric Cars a réussi avec cette 911 un superbe exercice de style. S’il s’agit de démontrer qu’une Porsche classique passée à la moulinette du rétrofit peut apporter des sensations excitantes, le défi est relevé avec les honneurs. Le charme de l’ancienne, l’efficacité d’une pistarde et les performances de l’électrique font un mélange détonnant et tout à fait réussi. Pour la première fois de ma vie, je reviens d’un essai Porsche avec l’envie d’en acheter une…Non ! D’en acheter deux en fait. Une 911 thermique pour les grandes virées, une électrique pour les petites sorties dominicales.