Ah, les certitudes de la jeunesse ! en tant que père d’une adolescente de 15 ans, c’est un spectacle quotidien. « Apole c’est mieux que Sam Soungues » ; « Grannoula c’est du PapiTo au rabais »…. Moi, forcément je me gausse. Du haut de ma grande sagesse quasi semi-séculaire j’ai tout compris à la vie. « Ah, parce que tu n’étais pas pareil à mon âge peut-être ? ». Quand j’y pense…
Au début des années ’90 j’avais presque 20 ans, mais moi aussi je savais déjà tout. En tout cas pour ce qui était des voitures de sport. J’avais tout juste pris le volant d’une 309 GTi paternelle ou d’une R21 Turbo appartenant à mon parrain, mais sans aucun doute, je savais à quelle sportive accorder respect ou dédain expert.
Je pouvais réciter par cœur les caractéristiques techniques des dernières Ferrari, Lotus, Corvette, Aston Martin. Me parliez-vous de ces voitures exotiques venue d’un archipel asiatique, vous ne récoltiez qu’une moue ironique. Une Toyota Supra rivalisait à peine à mes yeux avec une Renault Fuego.
Pourtant, lors de sa sortie en 1989, la Nissan 300ZX avait réussi à allumer une étincelle dans mon esprit. En premier lieu de par son style. Alors que la mode était encore aux phares pop-up (Corvette, Ferrari, Mazda Rx7, Porsche 944 ou 928), la Z32 (son petit nom technique) affichait sa différence avec ses phares fixes, rectangulaires et rapprochés dans un museau plat, large et faisant immanquablement penser à un animal à sang froid. Un crapaud pour ses détracteurs, un alligator pour ses adeptes.
De profil, le mélange de lignes droites et courbes simples date quelque peu la voiture dans sa décennie, mais il s’en dégageait à l’époque une harmonie certaine. Ni trop agressive, ni trop douce, juste ce qu’il fallait d’élégance.
C’est à l’arrière que l’âge de la voiture est le plus marqué. Les feux incrustés dans un large bandeau noir me rappellent les premiers jeux électroniques dotés de touches de couleurs. Un style totalement dépassé aujourd’hui, mais qui garde un charme fou.
Flashback. Expert automobile de ma bande de copains, dès qu’un modèle original passait j’étais consulté pour savoir s’il s’agissait d’une voiture digne d’intérêt. Mon jugement n’était pas remis en question. Et quand une (rare) 300ZX passait, je me fendais d’un « Mouais, c’est sympa » peu engageant. Mais en douce, je me retournais pour regarder cette voiture qui m’intriguait. A la façon dont je me retournais sur la fille pour laquelle j’avais un béguin secret à cacher absolument aux potes.
Et me voici aujourd’hui en possession pour quelques jours d’une magnifique version de 1991 dotée du plus gros moteur et d’une boite mécanique. Quand je la récupère, elle est garée à côté d’une GT-R Nismo (lire ici) dernier modèle. C’est amusant comme la 300ZX parait alors petite, elle qui faisait partie des grosses GT pourtant.
Ouverture de la portière, avec une clé. Une habitude perdue désormais. L’intérieur est dans un état magnifique. Les plastiques de la planche de bord sont étonnamment bien conservés et la qualité étonne pour une voiture plus que trentenaire. Mais ce qui étonne le plus c’est la moquette qui envahit l’habitacle sur les portières et la boite à gants. Enfin, la moquette c’est ce qui étonne le plus jusqu’à ce que je m’installe au volant, c’est alors la présence de deux énormes satellites de chaque côté du volant qui remporte la palme de l’originalité. Bienvenue dans un chasseur interstellaire ! A droite climatisation et essuie-glaces, à gauche feux et “cruise control”. Le design n’est peut-être plus d’actualité, l’ergonomie reste elle très actuelle. On se sent immédiatement bien dans la Nissan 300ZX. Position de conduite allongée, mais pas trop, volant au diamètre idéal et à l’épaisseur parfaite. Il est temps de démarrer…Avec la clé une fois de plus. C’est dingue ce que ces petits gestes peuvent faire plaisir.
Le six cylindres en V de près de trois litres s’ébroue dans un ronronnement réjouissant. Le « vraoum » initial n’est pas rageur, pas timide non plus. C’est le son que ferait un tigre qui se réveille tranquillement. Evocateur de puissance contenue et maîtrisée.
La météo étant plutôt clémente, je décide de me défaire du T-top, cette solution purement américaine (le marché cible de la 300ZX) pour rouler décapoté, mais pas trop. Les deux parties du toit, vitrées, se rangent dans le coffre large mais très peu profond. Me voici prêt à partir.
La boite de vitesse manuelle à cinq rapports se manie avec fermeté. Tout comme l’embrayage. Sans être récalcitrantes, les commandes dans leur ensemble (volant, embrayage, levier de vitesse) demandent un effort certain par rapport aux voitures plus modernes. Loin d’être désagréable, cela donne le sentiment d’être en contact étroit avec la mécanique.
La conduite coulée, tranquille, convient à merveille à la 300ZX. Bien décomposer les mouvements lors des passages de rapport, à la montée comme à la descente. Profiter de la force tranquille du moteur. Apprécier le filtrage des suspensions, bien aidées par les pneus aux flancs hauts par rapport à nos standards actuels. Dès ces premiers kilomètres, la Nissan fait bien sentir son poids (pachydermique pour l’époque, plus tellement aujourd’hui). La voiture est lourde, mais pas pataude pour autant.
Dans le contexte répressif actuel, la 300ZX prend tout son sens. Il n’est pas nécessaire de rouler vite à son volant pour éprouver du plaisir. Il suffit de profiter de l’ambiance intérieure, du ronronnement du V6 et de se concentrer sur la conduite. Cette activité que les voitures modernes tendent à mettre au second plan au détriment des fonctionnalités d’info-divertissement et des performances « faciles ».
Et pourtant de la performance, la Nissan en a à revendre. Les 280 chevaux et 394 Nm savent encore raccourcir l’horizon dans la force des deux turbos gavant une mécanique qui n’a pas encore appris le mot « downsizing ». Enfoncer la pédale de droite vous propulse encore assez vite vers la case délinquant de la route avec un lot de sensations en harmonie : la poussée, la sonorité et l’assise de la voiture qui semble imperturbable.
C’est là toute la beauté de cette pure GT. Elle sait donner un véritable plaisir de conduite à un rythme tranquille, mais se mue en sportive à la demande.
Car la puissance n’est pas son seul atout quand on parle de sportivité. Le châssis de la Nissan 300ZX est un modèle d’équilibre. La voiture fait preuve d’une stabilité rassurante en toute occasion mais elle peut à la demande enrouler avec prévenance dans une légère dérive du train arrière pour pivoter plus facilement.
Il faut cependant raison garder. Si la 300ZX sait hausser le rythme, il ne s’agit tout de même pas d’une ballerine. Ses plus de 1 700kg en ordre de marche n’en font pas une machine à brutaliser. Les freinages de trappeur et enchainements façon slalom de ski ne sont pas sa tasse de thé.
Et puis que diable, un peu de respect pour cette mamie. Même si elle ne fait pas son âge, elle mérite d’être traitée avec certains égards.
En 1991 la Nissan n’était pas dans le peloton de tête des GT performantes. En 2021 se performances sont rentrées dans le rang, la moindre GTi étant capable de lui tailler des croupières. Mais ce qu’aucune voiture moderne n’arrive à offrir, c’est cette proximité avec la mécanique. Cette communion avec la voiture.
En reprenant ma MX-5 ND (lire ici) après l’essai, cette dernière me semblait totalement synthétique. Comme si je jouais avec un volant de console de jeu plutôt qu’avec une vraie voiture. Et pourtant la MX-5 reste actuellement l’une des voitures les plus engageantes du marché (pour un tarif raisonnable s’entend).
La Nissan, du haut de ses trente ans, arrive à vous immerger dans la conduite à chaque instant passé à son volant.
Mieux, elle immerge aussi les passagers. Ma femme, pourtant hermétique au style des voitures entre deux âges (bref tout ce qui va de 1980 à 2005) s’est surprise à se dire que ce serait sympa une Nissan 300ZX pour le week-end. Les balades en amoureux, les promenades en bord de mer.
En écrivant cet article, revivant les quelques jours heureux avec la Z32, je repense à ce gamin prétentieux que j’étais : « Eh mec. Tu n’y connais rien. Cette Nissan, c’est du velours sur roues. Pas la voiture pour arsouiller comme un âne, mais une compagne prévenante, immersive et performante à la fois. Un compromis qui se fera de plus en plus rare. Au lieu de cacher ton attirance pour préserver ton image de puriste, ouvre les yeux ! Cette voiture mérite ton amour. Et que tu l’assumes. C’est en reconnaissant son originalité que tu feras preuve de maturité. »
Et alors que se dessine le mot de la fin, je me dis qu’il n’est pas encore trop tard. Une belle 300ZX peut encore se trouver entre 20 et 30 000 euros. Ce n’est pas donné, mais je parie que dans une dizaine d’année il faudra débourser le double. En tout cas ce serait mérité.
Merci Tam et Tim pour les photos dynamiques.