“Un Road Trip au Mans Classic en Morgan Plus4, ça t’intéresse ?” Cette invitation inhabituelle, c’est Sascha Marcassus qui me la propose, le boss de Marcassus Sport, importateur et distributeur français de Morgan dans l’hexagone. La voiture est à Grenoble, elle a participé au Transalpes AMV Légende, dans les Alpes, pour la chaîne de TV C8. Rester dans l’ambiance du Mans Classic, événement incontournable de l’automobile classique, avec une voiture “à l’ancienne” comme une Morgan, ne se refuse pas. L’expérience temporelle peut commencer…
Je rêvais d’un autre monde
C’est un gros orage d’été qui m’accueille à Grenoble. Je n’en mène pas large en descendant au 2ème sous-sol du parking où m’attend cette superbe Morgan Plus4, couleur “Jaguar Pale Primrose”, un jaune pastel rehaussé d’un discret stripping noir, du capot à la roue de secours. L”auto est basse (h:1,22 m, L:4,01 m, l:1,72 m, empattement: 2,49 m, voie AV: 1,29 m, voie AR: 1,44 m) et la serrure de portière l’est aussi, je cherche fébrilement où glisser la petite clé. A l’ouverture de la porte conducteur, je découvre un habitacle douillet mais confiné (bien que la cellule soit proche de celle des Aero8 des années 2000) : baguettes de marche pied, épaisse moquette, cuir surpiqué, tableau de bord en ronce de noyer, pédalier éclairé, pédale d’accélérateur type orgue, lecteur de carte à leds, capote supérieur avec couvre tonneau et sacs de portières noir. Grande clé en main, je démarre le 4 cylindres dont l’échappement rauque et caverneux résonne dans le sous-sol. Phares allumés, l’instrumentation “Smith” s’illumine… c’est beau !
Sascha Marcassus m’avait mis en garde, la rétrovision n’est pas le point fort de la Morgan Plus4, pas plus que sa faculté à braquer dans un espace restreint (rayon de braquage 10 m). Bien sur, les assistances “modernes” sont proscrites, que ce soit pour la direction ou le freinage. Le petit pare-brise, les vitres latérales au format “meurtrière”, les rétroviseurs ronds à la dimension “miroir à maquillage pour sac à main” et la petite glace intérieure, faisant office de rétro sur son support inox, ne sont pas là pour vous faciliter la tâche. Je vais avoir toute les peines du monde à sortir la Morgan Plus4 du parking souterrain et monter au rez de chaussé. Les pentes sont raides et les jonctions avec les plateaux des étages sont matérialisées par des réglettes en métal de 2 cm de haut ! Ça frotte désagréablement. Finalement, sur les conseils d’une ancienne propriétaire de Morgan croisée en ce lieu improbable (!), c’est en marche arrière que la Plus4 se présente à la barrière de la sortie. Je n’ai pas fais 50 m que je suis déjà en nage, perdant le peu de cheveux qu’il me reste !
La sortie de Grenoble se passe bien mieux malgré une chaussée… inondée, les canalisations étant débordées de reflux d’eau. Je me concentre sur le pédalier, c’est lui qui me pose le plus de soucis : l’accélérateur est suspendu alors qu’embrayage et frein sont, à l’inverse, fixés au plancher comme dans une monoplace. La course de frein est excessivement longue (surement un réglage à faire) avant que l’effort de ralentissement ne se fasse sentir, via deux disques à l’avant (279 mm) et… deux tambours à l’arrière (228 mm), merci le servofrein. Le seul élément qui me met en confiance est la boite de vitesses à 5 rapports, fournie par Getrag, dont je reconnais l’origine Mazda MX-5, un vrai régal, aux débattements précis et rigoureux. Je suis en terrain connu et c’est par elle que je découvre la voiture, en suivant ses vibrations contenues. A l’avant se trouve sous le long capot, le moteur d’origine Ford, dont Mazda s’est servi pour son roadster NC, un “Duractec 20”, 4 cylindres en lignes à double arbre à cames en tête, 2.0L à injection indirecte, catalysé euro 5. Sur notre Plus4 modèle 2012, il développe une puissance de 146 ch (107 kW) à 6000 tr/min pour un couple de 187 Nm à 4500 tr/min. C’est un bouilleur au caractère très linéaire qui ne souffre pas d’emmener les 960 kg à vide de la Morgan Plus4 (877 kg à sec). Plus d’infos techniques ici.
A noter, que la version LF-VD de Mazda était équipée de l’injection directe DISI et d’un taux de compression plus élevé, pour une meilleure efficacité sur les marchés Japonais (JDM) et Européen (EDM). Il produit 148 ch (110 kW) à 6500 tr/min et 187 Nm de couple à 4000 tr/min. En 2011, Ford a commencé à vendre la troisième génération Ford Focus en Amérique du Nord, qui est livrée avec une version mise à jour qui utilise l’injection directe (GDi) et le calage variable des arbres à cames (Ti-VCT), permettant une performance accrue (puissance et couple), des émissions réduites (consommation de carburant en baisse) et un rendement énergétique supérieur, à celui des moteurs à arbres à cames fixes. Ces caractéristiques, associées à un taux de compression de 12,1: permettent au moteur de générer 160 ch (119 kW) à 6000 tr/min et 198 Nm de couple à 4250 tr/min. Cette version est également appelée “Duratec 20”. Cette famille de moteurs a été produite à Dearborn, dans le Michigan aux États-Unis, à Chihuahua au Mexique, et certains par Mazda à Hiroshima au Japon.
Prendre son temps
J’adopte un train de sénateur pour rejoindre, sous la pluie, le premier péage d’autoroute, badge en place obligatoire. Les phares de la Morgan éclairent la route qui me sépare de Lyon. Chaque irrégularité ou raccord de la chaussée est une invitation à maudire les services la DDE. Les suspensions sont sèches et raides alors que le châssis (échelle en acier et superstructure en frêne sur laquelle sont fixés les éléments de carrosserie) est souple, le tableau de bord vibrant à bas régime. L’association de cet ensemble est assez déroutante et il me faudra plusieurs centaines de kilomètres pour m’y habituer et surtout anticiper. Ce manque de rigueur se retrouve également dans la direction, ni directe, ni précise, impression exacerbée par l’assise positionnée presque sur l’essieu arrière propulseur. C’est un mode d’emploi à assimiler, celle d’une conduite d’une autre époque où il faut prendre le temps.
Bien que souple et vigoureux, il est inutile de pousser le bloc Ford au delà de 5000 tr/min. Il n’a rien du caractère moteur des anciennes, perché haut dans les tours. Certes, pousser sur les intermédiaires jusqu’à ce régime est gratifiant, le son devenant métallique passé 3000 tr/min, ponctué de subtils claquements lors des décélérations. Mais les rapports de boîte un peu longs (pour soigner la conso), ne sont pas très encourageants. D’ailleurs, pourquoi Morgan n’a pas choisi la version à 6 rapports de la boite de vitesses MX-5, afin d’ajouter un peu de pep’s au dynamisme de la voiture ?
La nuit porte conseil, c’est bien connu. Le lendemain pour la jonction Lyon-Le Mans, j’ai changé mon logiciel de conduite : exit l’actuel, bienvenue à celui de mes ascendants. Bien que moderne et dotée de composants mécaniques contemporains, la Morgan Plus4 propose un déplacement dans le temps, assurance de rouler complètement décalé dans la circulation d’aujourd’hui, aseptisée de monospaces et de SUV’s diésélisés : sensations de conduite, conception et ergonomie du siècle dernier, construction artisanale à la main, style des années 40-50, confort spartiate, tout est réuni pour tomber sous son charme. C’est l’ADN pure de cette marque fondée en 1909 par Harry Morgan, à Malvern (lisez notre article sur la visite de l’usine, ici). La Morgan Plus4 n’est pas avare, bien au contraire, elle est généreuse : voyager à son bord c’est s’exposer aux éléments naturels et elle vous rappelle qu’il faut prendre son temps pour effectuer (manuellement) de simples opérations : manipuler vitres et capote, changer de direction, se garer, etc…
Le long capot est une invitation au voyage, assis proche du train arrière, le grand volant relativement droit, face au buste. Inutile de chercher climatisation et radio, de toute façon c’est décapoté que l’on roule en Morgan, qu’il fasse soleil ou sous la pluie, la chaleur devenant vite étouffante lorsque la capote en fermée. J’étais septique quand à l’efficacité du trio des petits essuies-glace, mais non, ils sont aussi vaillants que Kirikou, animés d’une cinématique à l’ancienne faisant l’admiration des badauds et autres utilisateurs de la route. Il faut préciser que le petit pare brise protège bien de la pluie, capote ouverte, au delà 90 km/h, lorsque ce n’est pas le déluge. Une scène complètement ubuesque pour vos spectateurs du moment, qui vous encouragent de pouces levés et d’appels de phares.
La conduite de la Plus4 est assez simple, quand on a compris qu’il faut bien inscrire l’auto avec le train avant, le reste suivant logiquement. Pour autant, si l’efficacité contemporaine est absente, la Morgan offre de beaux passages en courbes, à vitesses respectables. Il ne faut jamais oublier les jantes à rayons, du plus bel effet, chaussées d’une monte pneumatique à la (modeste) dimension de 195/60 R 15V. Autant le dire tout de suite, la Morgan Plus4 se conduit sur le couple, mode “cruising”, c’est ça son credo, impeccable pour la nouvelle réglementation française des 80 km/h sur axes secondaires…
Que retenir de cette expérience temporelle, si ce n’est qu’elle est totalement dépaysante, enrichissante et décalée ? Rouler en Morgan est un acte militant : celui de refuser les contraintes de notre époque moderne, d’échapper au rythme de vie effréné qu’elle nous impose. Rouler en Morgan est un privilège qui permet de remonter le temps (à condition d’y consacrer du temps !) et comme tout privilège cela à un prix, proche des 60 K€. Oui, cette Morgan Plus4 a des défauts, encore plus avec une lecture moderne, comme ses vilains commodos en plastique bas de gamme, verrues dans cet habitacle So Britih. On lui reprochera son manque de rigueur et de précision, sa sécheresse de suspension amortie par la souplesse de son châssis, ou son coffre symbolique, mais c’est justement ça une auto ancienne. Assurément une auto très attachante qui déclenchera la passion au delà de la raison.
Remerciement à Marcassus Sport, pour ce road trip au volant de cette Morgan Plus4 de 2012 qui est à vendre, ici.
Crédit photos @ Ph. Lagrange/J. Prot
Bonjour Jacques,
Nous vous remercions de vos suggestions en mode “british humour”, pour rester dans le sujet 😉 Pour le châssis, nous avons corrigé par “échelle en acier et superstructure en frêne sur laquelle sont fixés les éléments de carrosserie”. Comme il y a un lien dans notre article, sur la visite de l’usine sur la fabrication des Mog’, nous n’avions pas cru utile de le repréciser, cette affirmation erronée étant irraisonnée.
Bien morganement
Bonjour,
Nous aussi nous pensions qu’il s’agissait d’une version Mazda 160 ch. Mais en creusant ce point nous avons relevé cette différence. C’est en 2014 que Morgan a installé le Duractec 20 à injection directe de 156 ch/201 Nm, DOHC, euro6 (plus d’infos techniques ici : http://www.automobile-catalog.com/car/2014/2039495/morgan_plus_4.html), version évoluée du bloc installé dans cette Plus4 MY 2012 essayée (plus d’infos techniques ici : http://www.automobile-catalog.com/car/2012/2039435/morgan_plus_4.html)
Quand à la BVM6, nous en gardons un excellent souvenir sur les MX-5 NB puis NC. Nous n’avons pas poussé l’investigation sur ses dimensions, à voir effectivement en détail.
Cordialement 😉
Il faut raison garder, l’échappement ne raisonne pas mais il peut résonner et le chassis, contrairement à une légende bien ancrée dans le grand public, n’est pas en bois mais en acier (et heureusement).
Enfin l’habitacle n’a rien à voir avec celui des Aero (8), ces dernières beaucoup plus modernes, plus larges et dotées d’un chassis en alu étant sorties en 2002 et non dans les années 90.
Quand à sortir des parkings en marche arrière, nul doute que ça pimente l’exercice mais est-ce bien “raisonnable” ?
Bien morganement
Je pensais que le moteur était celui de la NC donc en version 160ch.
Concernant la BV6, elle est plus large que la 5 er c’est la raison pour laquelle elle n’a pas été mise dans la Seven. Peut être la même raison pour la Mort’ ou tout simplement une question de coût.