La Traction Avant de Citroën incarne pour nombre d’entre nous l’image de la voiture ancienne. Produite à plus de 750.000 exemplaires entre 1934 et 1957, elle a pendant longtemps peuplé les routes de France puis les rassemblements d’anciennes. Aujourd’hui elle se fait un peu plus rare dans notre paysage automobile alors qu’elle vient de fêter en Avril dernier les 90 ans de sa sortie ! Raison de plus pour s’y intéresser, les nonagénaires se font rares sur nos routes.
Une ligne reconnaissable ancrée dans la mémoire automobile collective
La Traction se rattache à plusieurs clichés, la voiture des brigands du Gang des Tractions, la voiture des FFI ou de l’occupation pendant la seconde guerre mondiale ou encore celle d’une France laborieuse qui l’usera jusqu’à la corde et la fin des années 70. Mais malgré ces nombreuses personnalités, elle est souvent synonyme d’une robe noire. C’est oublier les premières années de production durant lesquelles les couleurs variées étaient au catalogue, souvent bi-tons mettant ainsi en valeur ses courbes élégantes. Le dessin de la Citroën Traction Avant est du au jeune et talentueux Flaminio Bertoni qui signe ici son premier chef d’œuvre pour la marque au double chevron. En suivront plusieurs avec la 2cv (lire notre essai ici), la DS (lire ici) ou encore l’Ami 6, mais c’est une autre histoire.
Si les lignes de la Traction Avant sont si modernes pour l’époque, c’est qu’une, parmi de nombreuses autres, innovation technique ouvre de nouvelles portes au designer : la structure monocoque. Fini le châssis séparé sur lequel on vient poser une caisse, ici c’est la caisse qui fait tout, les trains roulant y sont rapportés. Ainsi la voiture est plus basse, les lignes plus aérodynamiques, et on ne monte plus en voiture, on y descend ! La seconde innovation technique, et pas la moindre puisqu’elle laissera son nom à la voiture, les roues avants sont motrices. Alors oui ce n’est pas la première voiture à le proposer, mais en très grande série, oui même si la mise au point est douloureuse et couteuse pour Citroën. Le profil de la voiture s’autorise une ligne de toit plus tendue, les occupants n’ayant plus à s’accommoder d’un tunnel de transmission. Pour le reste, la recette est élégante avec ses ailes galbées, ses chromes de la calandre aux pare-chocs et la roue de secours arrière apparente.
L’exemplaire que nous essayons aujourd’hui met encore plus en valeur le dessin de Bertoni avec cette carrosserie 2 portes, officiellement appelée « Faux-Cabriolet », pour mentionner le toit en dur, et non pas « Coupé ». De face on reconnait la berline, mais le 3/4 arrière tout en rondeurs sublime ce coup de crayon. Petit bonus ici, très à la mode dans les années 30, si les 2 passagers avant sont bien au chaud, il y a 2 places à l’arrière … à l’air libre. Souvent appelée « place de belle-mère », les 2 places du Spider sont accessibles à l’aide d’un marche pied sur le pare-chocs et un autre sur l’aile arrière droite. Le galant homme aidera à monter Madame en lui tenant la main, l’exercice tenant un peu de l’équilibrisme il faut l’avouer. En parlant de galanterie, détail amusant seule la poignée de porte passager est équipée d’une serrure pour fermer la voiture. Ainsi monsieur est obligé d’ouvrir la porte à Madame en premier afin qu’elle déverrouille la porte conducteur de l’intérieur.
Évolution stylistique mais révolution technologique
On a parlé de la monocoque et de la traction, on peut dire traction avant même si c’est un peu redondant, mais la Citroën regorge de nouveautés techniques, ou tout au moins d’avancées peu répandues et rarement réunies sur une seule et même automobile à cette époque. Cette révolution technologique insufflée par le patron André Citroën est l’œuvre de l’ingénieur André Lefèbvre (lire ici) qui a travaillé main dans la main avec Bertoni, les avancées de l’un aidant l’autre et vice versa. Parmi ces prouesses citons par exemple les freins hydrauliques aux 4 roues, et oui dans les années 30 les freins étaient à câbles, et pas forcément sur les 4 roues, ou encore la boite de vitesses en avant du moteur, dans l’axe des roues, libérant ainsi de la place dans l’habitacle pour les occupants ! On peut rajouter les roues indépendantes et la suspension par barres de torsion ou encore le moteur « flottant », avec un centre de gravité assez bas grâce à l’absence de châssis, la Traction Avant aura rapidement le titre de Reine de la Route avec une tenue de route incroyablement meilleure que ces concurrentes de l’époque…
Sous le capot, ou plutôt les deux demi-capots, c’est peut-être là que l’innovation est la moins visible, on retrouve un paisible 4 cylindres, certes moderne avec des soupapes en tête via un arbre à came latéral, associé à une réputée fragile boite 3 vitesses. Elle a dû être développée dans l’urgence, la volonté du patron était d’offrir une boite automatique abandonnée faute d’une mise au point impossible ou presque… Si les tout premiers modèles sont équipées de cylindrées plus modestes, le grand de la carrière de la Citroën Traction Avant se fera avec le 1911cm3 développant une 50aine de chevaux, cohérent et suffisant pour emmener la grosse tonne de l’auto même une fois chargée de ses occupants et leur bagage.
Intérieur sobre et efficace
Les carrosseries spéciales étaient souvent proposées avec une finition à la demande, on retrouve ainsi une sellerie en cuir et une moquette assortie, rendant cet intérieur strict un peu plus lumineux. Les 2 sièges pourraient être une unique banquette tant ils sont plat et droit, confortables mais sans offrir le moindre maintien latéral dans les virages. Dommage quand on sait comment elle peut les négocier. Heureusement pour le conducteur le grand volant trois branches est là pour qu’il s’y agrippe, tant pis pour le passager !
Le tableau de bord se résume à l’essentiel, le compteur central regroupe les infos nécessaires : vitesse bien-sûr, jauge d’essence, charge de la dynamo et pression d’huile. De quoi pourriez-vous avoir besoin d’autre ? Ah oui, une belle horloge en bas et vous voilà paré pour affronter la route ! A droite la clé de contact avec au-dessus la tirette du starter, et en dessous celle du démarreur. De l’autre côté c’est la célèbre et intrigante queue de vache qui sort de la tôle, accessoire incontournable pour commander la boite de vitesse, via une déstabilisante grille en H avec la 1ère en bas à droite, puis la 2nde en haut à gauche. On y reviendra plus tard…
Vous noterez en haut la jolie molette qui permet d’ouvrir le pare-brise afin de faire rentrer un peu plus d’air frais, ainsi que les 2 boites à gants en façade privilège des premiers millésimes. Ensuite le compteur se logera derrière le volant, et seul le passager aura droit à son espace de rangement. On notera par ailleurs comme le terme « boite à gants » s’est vu remplacer par « vide-poche », les temps changent… Plus bas le pédalier peut aussi surprendre, les pédales sont suspendues assez, celles du frein et de l’embrayage en tous cas, l’accélérateur quand à lui est au ras de la moquette et à peine plus gros qu’un timbre-poste très au centre de la voiture.
En route !
Assez bavardé, il est temps de prendre la route pour voir comment la reine s’apprécie 90 ans après sa sortie, très moderne à l’époque et en avance sur la concurrence, qu’en est-il en 2024 ? Starter tiré, contact mis, reste à actionner le démarreur, les 4 cylindres s’élancent au quart de tour avec un bruit rond présent mais sympathique. Je crois que c’est le moment de s’emparer de la queue de vache pour mettre la 1ère, l’embrayage est viril, mais la commande plutôt bien guidée permet de passer la vitesse sans hésiter. Hop on décolle en douceur et sans peine avec une musique de transmission reconnaissable entre 1000 pour qui l’a déjà entendu. Les souvenirs remontent rien qu’à l’entendre ! En parlant de boite, voilà déjà le moment de passer la 2nde, exercice plus délicat mais qui en décomposant bien le passage au centre du H se négocie assez bien. Le moteur relance sans peine aidé par son couple généreux et accompagné par le bruit de succion du carburateur très agréable. La direction qui semblait si lourde à l’arrêt s’allège avec la vitesse pour être présente mais pas pesante. Par contre pour les créneaux, vous n’aurez plus besoin de votre abonnement à la salle de sport, heureusement le volant est grand mais il faut y mettre de l’énergie.
Et pour éviter de ressembler à une crevette disproportionnée, rassurez-vous les pédales de frein et d’embrayage sont là pour entretenir cuisses et mollets. Si l’embrayage est viril, le frein est ferme. Non assisté, il convient d’appuyer fort pour que le ralentissement soit efficace. Malgré une course plutôt courte, le dosage est facile et les freins ne font pas peur … pour peu que l’on appuie ! L’accélérateur qui semblait si petit ne se remarque plus une fois que son emplacement est assimilé, la position de conduite est plutôt bien … pour une auto des années 30. Tout est ferme, mais tout est accessible, tout fonctionne et répond présent. Sorti de la ville une départementale sinueuse se présente, l’occasion de voir si le mythe traction est bien là. Pour faire court, la réponse est oui ! La 3ème vitesse s’engage super facilement en descendant droit depuis la 2, et ensuite ça enroule, ça tourne, ça repart avec une facilité et une précision déroutante. La relative lourdeur de la direction devient un atout, une fois engagé dans une courbe, la voiture est sur des rails et ne bouge plus, bluffant quand on se dit qu’elle est sortie en 1934.
Très à l’aise dans la circulation moderne, pour peu que l’on soit attentif et qu’on anticipe un minimum les freinages, elle est parfaitement à sa place sur la route. Sur l’autoroute un peu moins, avec un volume sonore élevée on a de la peine à dépasser ou tenir les 110 km/h en vitesse de croisière sans avoir l’impression de lui faire mal. Tant mieux ça incite à prendre les départementales, profitez du paysage et des villages traversés, bref prendre le temps de vivre et de se déplacer. La route fait aussi parti du voyage, pas seulement la destination… Si la destination est en haut d’un col, l’étagement de la boite peut ralentir un peu votre rythme, le trou entre la 2 et la 3 assez longue ne pénalise pas sur le plat, mais en côte on se retrouve parfois trop bas pour la 3, et trop haut pour la 2. Donc on reste en 2nde et on prend son temps, elle semble alors inarrêtable.
Pourquoi on n’en voit presque plus alors ?
Très à la mode dans les années 80, on voyait alors des Tractions dans tous les rassemblements d’anciennes et régulièrement sur la route. Facile à vivre et entretenir, les pièces se trouvent facilement en faisant attention à la qualité des refabrications parfois “low cost”, la mécanique est accessible et basique, elle a tout pour être l’ancienne parfaite. La cote est tout à fait raisonnable puisqu’on peut trouver une belle berline fiable et “roulable” pour moins de 15.000 Euros. Mais pourquoi en voyons-nous alors de moins en moins ? Difficile de donner la réponse, peut-être que les « nouveaux » collectionneurs la trouve trop banale, pas assez sportive ou ne veulent pas la voiture qu’avait Tonton René… Je n’aurai alors qu’un conseil, soyez original et à contre-courant en choisissant une Citroën Traction Avant. Vous aurez alors une auto élégante, spacieuse et fiable capable de vous faire traverser l’Europe ou même plus dans un confort princier. Et en bonus, vous serez certain qu’elle attira la sympathie de tous, jeunes ou vieux.
Crédit photos @ Ambroise Brosselin.