Essai Classic : Austin Seven Special 1928 ou comment voyager dans le temps
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Essai Classic : Austin Seven Special 1928 ou comment voyager dans le temps

Austin Seven Special

Faire du neuf avec du vieux, voilà quelque chose d’intemporel et de profondément ancré dans la nature humaine, c’est tout aussi vrai pour l’Automobile. Je ne veux pas parler de (re)sortir une Renault 5 en 2024 (lire ici), mais plutôt de réutiliser une base ancienne pour la détourner de son usage premier, la rendre plus fun et si possible plus performante. On pense tout de suite aux Hot Rod américains mais ce serait dommage d’oublier nos voisins britons toujours créatifs quand on parle de mécanique. Outre Atlantique la base est souvent une Ford T, A ou B, abondante et pas chère, outre Manche on retrouve la même approche avec l’Austin Seven.

Oui oui on parle bien de la Baby Austin sortie en 1922 et motorisée par un timide 4 cylindres de 747cm3 produisant à peine 10.5 ch (quand il y en a si peu, les chiffres après la virgule comptent) ! Produite à 290.000 exemplaires jusqu’en 1939 et donc largement répandue sur le marché de la seconde (troisième ou plus) main, un châssis en A robuste avec une implantation « évidente » moteur longitudinal et boite dans l’axe puis un pont sur les roues arrière motrices, voilà qui en fait une candidate idéale pour les transformations et optimisations diverses et variées.

 

 

La Lotus mk1

Un certain Colin Chapman ne s’est pas trompé en s’y intéressant : dès 1948 le premier modèle de la marque naissante Lotus n’est autre qu’un Austin Seven modifiée pour faire du trial, la mk2 la remplace l’année suivante tandis que la mk3 s’oriente vers le circuit mais toujours sur ce même châssis. Je vous laisse chercher les infos sur la mk4 et les suivantes, l’histoire Lotus est riche et complexe, n’oubliez pas la lumière est à droite 😉 D’autres Austin Seven seront modifiées en plus grand nombre, comme les Nippy ou les Ulster bien plus connues. Le 750 Motor Club anglais organise dès 1939 des courses réservées aux Austin Seven modifiées, le 750 faisant référence à la cylindrée, et la formule étant tellement populaire que le championnat existe toujours !! Les Colin Chapman existent par dizaines dans la campagne anglaise, peu auront son génie et sa réussite, mais quelques œuvres témoignent de leur inventivité en traversant les années jusqu’à nous, dont celle que nous avons la chance d’essayer aujourd’hui. Le châssis date de 1928, sa transformation en Special date probablement de la fin des années 40 ou début des années 50 et elle est tout simplement sublime !

 

Faite à la main

Dès le premier coup d’œil, impossible de passer à côté des rivets apparents reliant les fines feuilles d’alu qui recouvrent le châssis, formées à la main et déformées par endroit par les affres du temps qui passent et de plus de 70 ans d’utilisation. La face avant a quelque chose d’animal, deux gros yeux, une bouche grande ouverte, un poisson effrayé ? Le badge défraichi du 750 Motor Club en bas de la grille de calandre atteste d’une époque durant laquelle elle a sans doute bataillé avec quelques copines, la barre centrale est prête à accueillir les phares au centre comme sur les Lotus mk3 ou 4 pour plus d’aérodynamisme mais moins de refroidissement. S’en suit un capot qui épouse au plus prêt la forme du châssis en A et le moteur, laissant ressortir les 2 carbus SU et leurs filtres camembert. En partie basse de charmantes ouïes permettent d’évacuer un peu les calories dégagées par la mécanique tandis que l’échappement sort sur le côté passager vers une ligne « courte » dirons-nous.

 

 

Un petit saute-vent Brooklands protège le visage du pilote qui va se blottir entre le grand volant et le siège relativement enveloppant avec son assise en cuir et son dossier brut d’alu. Plancher bois, alu brut partout ailleurs, la vocation première de cette auto n’est pas le tourisme, le message est clair. Le passager le comprendra rapidement aussi, pour lui point de saute vent, il profitera au grand air de la balade … et des moustiques. Le tableau de bord regroupe le strict minimum lui aussi : compte-tour et vitesse, température d’eau et pression d’huile. De quoi d’autre pourriez-vous avoir besoin ? Ah oui le niveau d’essence : un bâton en bois vous permettra d’estimer au plus juste la quantité restante dans le dos des occupants ! Light is right vous disiez ?

 

 

On arrive ensuite au plus beau morceau de cette auto : l’arrière ! Quelle ligne et quelles formes, je suis sous le charme… Là où la plupart des Seven Ulster ont le cul pointu vertical à la façon d’une Bugatti de Grand Prix, le génial mais anonyme carrossier de celle-ci lui a fait un arrière pointu horizontalement plongeant vers le bas, donnant un air de baleine qui courbe le dos pour retourner dans les profondeurs marines.

 

Face de poisson surpris, arrière en dos de baleine, cette petite Austin Seven est vraiment Special ! Y compris sous le capot puisque le 747cm3 a laissé sa place à un plus moderne (années 40-50) Ford 100E, toujours 4 cylindres à soupapes latérales, mais fort de 1172cm3. Bien affuté et gavé par ses 2 SU il sort pas loin de 50ch, accouplé à une boite 4 vitesses Ford, un pont arrière de Sprite et des freins à tambours hydrauliques de Morris Minor, la placide Seven se transforme en gentil monstre mécanique afin de donner un ramage à la hauteur du délicieux plumage. Les grands roues fils en 15’’ noires asseyent bien l’auto qui profite d’amortisseurs télescopiques en plus de la lame de ressorts transversale du train avant. Le comportement dynamique devrait s’en ressentir positivement, bonne idée avec presque 5 fois plus de puissance qu’à l’origine !

 

 

 

L’Austin Seven face aux éléments !

Après avoir longuement détaillé la bête, voici venu le moment d’en prendre le volant, mais avant ça il faut s’installer à bord. Une jambe par ci, un appui par-là, l’autre jambe sous le volant, et on se laisse glisser et hop on est enveloppé par le dossier alu. Le grand volant tombe bien dans les mains, les pédales un peu moins… Mais en cherchant bien des logements sont aménagés dans le plancher en bois pour caler ses talons, tournés vers le centre de la voiture, face aux grandes pédales. Ergonomie est un mot trop récent, mais on semble calé pour lancer la machine. Coupe circuit extérieur, contact à la clé et luxe moderne le démarreur est électrique à la main droite tandis que la main gauche plonge de l’autre côté pour tirer le starter sans blocage. Le 4 cylindres Ford démarre au quart de tour dans un sonorité grave et bien ronde. On peut lâcher le starter et le ralenti se cale assez bas mais tient bien. Quelques vibrations et bruits mécaniques divers résonnent, la bête prend vie.

 

Embrayage ferme, clac la première est passée, la voiture sursaute comme pour confirmer qu’elle est prête. On descend les lunettes sur les yeux et décollage sur un filet de gaz, le 1,2 litre est étonnamment coupleux et engage à mettre la seconde rapidement avec une commande de boite ferme mais bien guidée. Le grand volant à la jante très fine se manie bien, il faut dire que le poids est réduit et les pneus peu larges, la direction répond bien même un peu trop, heureusement le gabarit réduit de la voiture fait qu’on occupe qu’un tout petit morceau de la route. Il faut maintenir fermement le cap, le train avant a tendance à suivre les déformations de la route plutôt nombreuses par ici. Mais en appui la voiture se comporte très bien, les pneus à flanc haut travaillent, la suspension tient bien la voiture, elle est presque rassurante malgré une conception centenaire !

 

On se retrouve assez rapidement à 70-80 km/h dans la circulation moderne, le moindre SUV prend des allures de poids lourd tant on est bas et petit mais surtout exposé aux éléments. Le petit saute vent fait de son mieux pour … faire sauter le vent, mais le moins que l’on puisse dire c’est que c’est vivant. Les remous d’air, les gravillons ou autres projections de la route, regarder le train avant travailler, les roues braquer sous les garde-boues fixes, il y a quelque chose d’hypnotique et d’incroyablement mécanique à tout ça. On sort vite de sa rêverie quand il s’agit de ralentir. Les freins sont efficaces certes, mais non assistés et un peu mou, alors le mollet droit ne doit pas faire le timide pour calmer le rythme même si le puissant frein moteur aide déjà beaucoup. Car oui du rythme il peut y en avoir avec ce 4 cylindres généreux à la bande son suggestive mixant le bruit de succion des 2 carbus et celui de l’échappement assez libéré. Le dépaysement est total, l’ambiance incomparable à toute autre expérience de conduite, un vrai voyage dans le temps qui donne envie de se lancer dans des aventures folles…

 

Si on se voit volontiers traverser la France en Traction Avant Citroën (relire notre essai ici), ici il faut avouer que la conduite est un peu plus physique et éprouvante. Déjà le fait d’être exposé aux éléments n’est pas des plus reposant (pour ne pas dire rassurant) et la position de conduite est un peu moins confortable pour imaginer de très longs trajets. Oui je sais je vieillis, mais même une Caterham (relire notre essai ici) semble douillette à côté 😉

 

Côté format, c’est amusant de voir comment une Austin Healey Sprite (relire notre essai ici) peut paraitre de taille normale à côté alors qu’elle est systématiquement toute petite ! On imagine volontiers la scène à la fin des 50’s, la Frog’ cranant d’être toute neuve tandis que la Seven se targue d’être tout en alu… Entre Austin on peut se chamailler !

 

Vous l’aurez compris, je suis sous le charme complet de cette auto au look incroyable avec une patine exceptionnelle qui témoigne de ces nombreuses années de vie pas toujours de tout repos. Exemplaire probablement unique, il va être difficile de trouver la même. Les Ulster sont un peu plus facile à dénicher (il est toujours possible d’acheter une caisse alu neuve en Angleterre) à des tarifs variables en fonction de la finition. Disons qu’à partir de 20.000 Euros vous pourrez commencer à trouver des voitures sympas et prêtes à rouler. Bonne recherche et bonne route à Henri, le jeune propriétaire de ce joujou extra !

Crédit photos @ Ambroise Brosselin.

A propos de l'auteur

Pierre Henri Brautot (@PH_Brautot)

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