Une Jaguar se savoure sur de grands trajets m’a-t-on dit. OK noté, alors plutôt qu’une petite balade de quelques heures autour du Léman découvrir cette grosse lady des années 90, voyons où nous pourrions aller pour profiter de ce redoux inespéré et des belles couleurs de l’été indien… Tiens un vieux morceau de road-book du Monte Carlo Historique avec l’étape Valence-Valence, en voilà une bonne option ! Merci Jean-Pierre de m’y avoir fait repenser lors de l’essai de la R16 TS. C’est parti, la Jag’ est propre, le plein est fait elle ronronne déjà au ralenti, frémissant à l’idée d’aller avaler quelques centaines de kilomètres de bitume.
Bienvenue à bord
J’ouvre donc la porte pour m’installer, un siège en cuir crème visuellement bien accueillant m’attend, je ferme la porte dans un « clouf » (sorte de clac très étouffé) qui se montre discret. Première impression, on est bien dans les 90’s, le tableau de bord tout de vrai bois vêtu témoigne du soin apporté mais date un peu dans son design, les cadrans clairs et lisible m’informent de la charge de la batterie, de la température d’eau, pression d’huile et les incontournables compte-tours et tachymètres sont bien en vue au centre. La jauge à carburant se fait discrète tandis qu’un petit afficheur digital vert s’insère tel une tâche de modernité dans ce monde de traditions. Plus tard en jouant avec le comodo des clignotants je découvrirai qu’il permet de surveiller le kilométrage total et partiel, la conso instantanée et moyenne, ainsi que la vitesse moyenne, le nombre de litres consommés depuis le dernier reset ou encore le nombre de kilomètres restant à parcourir avec le contenu du réservoir. Rien d’extraordinaire me direz-vous, certainement très luxueux et moderne remis dans le contexte de 1995 date de sortie de cette X300.
Tiens d’ailleurs puisqu’on parle un peu histoire, la X300 se glisse entre la XJ40, digne successeuse des XJ6 des 70’s, et juste avant la X308 avec son V8 qui évoluera vers les plus contemporaines XJ8. Donc voilà la X300 est dans la lignée des grosses berlines de Coventry, incontournable porte drapeau pour les business men pressés de la city ou les familles british aisées. La finition se donne alors les moyens de plaire à son public, encore plus à la fin des 90’s quand le premium semble définitivement échapper à l’Angleterre pour glisser du côté de l’Allemagne, chez BMW, Mercedes puis Audi. Le riche équipement comprend donc climatisation automatique, cuir et bois partout, moquette et sur-tapis optionnels en poil de moutons, boite automatique à 4 rapports et 6 cylindres 3.2 litres ou 4.0 litres. Ici nous avons le « petit » moteur, oui 219 ch quand même, plus répandu, en finition Executive donc plus orientée confort que sport. Le bleu marine, sympathique alternative au classique British Racing Green va parfaitement bien avec l’intérieur crème. D’autre combinaisons avec du gris ou bordeaux conjuguées à un intérieur noir ne donnent pas la même ambiance et une autre vocation à la berline.
La croisière s’amuse
Trèves de présentation, revenons, non pas sur, mais bien dans le siège conducteur. Un petit coup d’œil par-dessus l’épaule permet d’apprécier le soin apporté au traitement des places arrières : nul doute que les version Daimler ou limousine rallongée d’une poignée de centimètres n’étaient pas nécessairement conduites pas leur propriétaire, plus confortablement lové sur une place arrière. Une fois la position de conduite ajustée dans tous les sens, jusqu’au gonflement du coussin lombaire, il est temps de jouer avec le célèbre levier de boite en J pour glisser sur la position Drive. Un léger et presque imperceptible à-coup semble me signifier que la pression sur la pédale de frein n’était pas suffisante, peu importe, je comprends le message : la vitesse est engagée, le fauve prêt à bondir ! Les premiers kilomètres sur une route un peu étroite me permettent de juger de la taille de mon engin. La Jag’ a beau être basse derrière ce Scenic XL qui se traine, elle est large. Google me le confirme à l’instant, la belle fait 1m80 de large, pour 5m02 de long et seulement 1m30 de haut. Finalement la conduite « du mauvais côté » est appréciable dans ces conditions, au moins je tiens bien ma droite. La chaussée s’élargit, le Scenic disparait, le rythme peut adopter une vitesse de croisière un peu plus élevée sur cette Nationale. Croisière, le terme n’est pas si mal choisi tant on semble isolé de la route. Je connais cette portion et me souvient combien elle est secouante en MX-5, ici un léger et doux remous remonte ces irrégularités. C’est bien simple on semble déconnecté du bitume, voyant les autres usagers tressauter quand on est agréablement bercé.
On rejoint alors le péage pour une rapide relation payante nous conduisant au nord de Valence. Le départ du péage permet de tirer un peu les rapports de la boitoto, le 6 cylindres rugit poliment, juste assez pour faire entendre une sympathique sonorité bien ronde tandis que les vitesses s’enchainent fermement sans être sèches pour autant. On est certes loin d’une boite DSG bien plus récente qui sait se faire complètement imperceptible, mais on est aussi très loin, et heureusement, de la décevante boite d’une Smart Roadster. Calé à 3.100 tours/min les kilomètres défilent à 130 km/h dans un silence et calme fort appréciable. C’est bien simple, le passager semble souffrir invariablement du « syndrome Jag’ » : quelques minutes sans lui parler ou le distraire avec la radio, ses paupières s’alourdiront irrémédiablement. Le doux bruit du clignotant, car oui bordel mettez votre cligno’ même sur autoroute, étant juste assez fort pour se faire entendre du conducteur sans déranger le ou les passagers. Le confort du siège est toujours aussi bon après bientôt 2 heures même si au départ l’assise plutôt courte me semblait surprenante. Finalement la position de conduite avec les jambes assez allongées et un volant plutôt droit sont très bien accordés avec le dessin du siège.
Hop on évite de prendre le contournement de Valence pour se jeter à l’assaut des départementales tortueuses de la région. C’est à partir de ce moment que l’élégante berline accuse un peu ses 1860 kg, et oui le luxe et le confort, ça pèse lourd sur la balance. Les relances en sortie de courbes serrées demandent d’appuyer un peu plus fermement sur l’accélérateur pour garder la seconde plus longtemps et éviter un passager prématuré de la 3ème, dans l’ensemble ça suffit pour garder un rythme correct, mais on sent que la Jag n’est pas à son aise dans cet exercice. Idem dans les changements d’appuis un peu vifs, le roulis souffre du poids et on se fait un peu balloter d’un côté à l’autre, enfin disons qu’on ressent bien les transferts de masse. Sans doute que ce ressenti peut s’avérer un peu moins agréable depuis les places arrières, d’autant que le filtrage de la suspension semble nous remuer gentiment avec un temps de retard. Le genre de blague que l’oreille interne n’apprécie pas très longtemps pour les sensibles de l’estomac. Mais rassurez-vous, point de vomis dans la moquette, bien qu’on sente le poids, on n’en est pas malade pour autant. Disons que ça freine un peu les envies d’arsouille qui pourraient surgir sur ce genre de route. La bonne surprise vient quant à elle du freinage. On aurait pu redouter que le combo poids plus boitoto les mette à mal rapidement, il n’en est rien. Ils répondent présent sans ramollir la pédale ou se faire sentir. Quoique vu l’isolation phonique avec le monde extérieur, j’imagine volontiers qu’une odeur de frein n’aurait pas l’autorisation de venir chatouiller les narines des occupants. Et en cas de longue descente demandant du frein moteur, la boite peut se verrouiller en 2 ou en 3, n’autorisant pas le passage à la vitesse supérieur, appréciable attention de chez ZF le fabriquant de cette boite 4.
Elle est belle ma Jag !
La boucle autour de Valence se termine, nous voici au cœur de la Drôme provençale et on aperçoit déjà les premiers pieds de lavande. Où allons-nous où maintenant ? Il est temps de faire une pause et sortir la carte. Descente de la Jag’, on se déplie sans même ressentir le besoin de s’étirer, non franchement le confort n’est pas un vain mot dans cette auto, la routière parfaite pour les longs trajets. Qui me disait qu’il fallait faire des kilomètres pour apprécier une Jaguar ? Je commence à comprendre. Du coup on a envie de rouler encore un peu, et si on allait à la plage, le sud de la France n’est plus si loin et le soleil brille… En attendant on peut contempler la berline qui se repose quelques instants à l’ombre, les couleurs de l’automne faisant ressortir ses jolies courbes. Certes elle est typée 90’s à l’intérieur, beaucoup moins à l’extérieur. Evidement on devine qu’elle n’est pas de 2017, mais elle a beaucoup mieux vieilli qu’une XJ40 avec ses phares carrés et ses arrêtes marquées.
Le regard affuté avec les 4 optiques rondes dont l’ondulation se prolonge sur le long capot, une ligne assez basse et tout en longueur lui donne une belle allure du 3/4 avant. Les longs portes à faux, donnant de la place au 6 cylindres et du volume de chargement au coffre, participent à un profil élancé mais aussi équilibré. C’est bien sous cet angle qu’on prend la mesure des 5m02. L’arrière est peut-être la partie qui fait le plus son âge, la faute aux feux et leurs clignotants gris fumé, je n’ai jamais été super fan de ça même si je n’imagine pas une 205 GTI avec ces clignotants oranges de phase 1, préférant 1000 fois les gris de la phase 2. Bref autre débat, la X300 a malgré tout un beau popotin, elle apparait élégante et fine, mais plutôt basse et large dans la circulation moderne.
Go south
Allez hop demi-tour, facile avec la direction bien assistée mais communicative, et cap plein Sud ! Les longues et rectilignes départementales permettent de jouer un peu avec l’ordinateur de bord. La conso moyenne affiche 10.4 litres/100 km pour ce premier parcours. Pas si pire sachant que j’ai joué un peu du quick down pour voir ce que le 3.2 litres avait dans le ventre et que la montagne a puisé dans les ressources du félin. On retrouve la route payante du côté des centrales de la vallée du Rhone et de la Ferme aux Crocodiles, et hop quelques heures plus tard nous voici à la frontière espagnole. Oup’s les plages du sud de la France on avait dit, non ? Bon et si on se faisait Valence-Valencia comme étape ?! Voilà comment on se retrouve après quelques pleins d’essence les fesses dans de l’eau à 25° après avoir mangé une bonne Paëlla Valenciana. Une vraie machine à voyager cette X300, je ne vais pas revenir sur le confort, mais même avec plus de 35° dehors la clim continue à souffler son brin d’air frais, la radio couvre le bruit du 3.2 et conducteur et passagers enchainent les kilomètres sans la moindre fatigue. Le retour se fera d’une traite, les 10h de route étant ponctuées uniquement par les arrêts essence et pipi. Bilan de la balade 3080 km et 11.1 litres/100 de moyenne. Certes on est loin des standards d’un moteur downsizé moderne accouplé à une boitoto 9 rapports… Un peu comme la Subaru testée en longue durée l’hiver dernier dès que les arrêts-relances se multiplient, typiquement un usage en ville, la conso s’envole.
La business à prix lowcost !
Une Jag’ ça coute cher ! Oui dans l’inconscient collectif, ou sur le catalogue du concessionnaire Jaguar Land Rover le plus proche, le prix est élevé. Mais sur le marché de l’occasion la X300 apparaît comme une affaire à saisir de toute urgence. Pas encore intéressantes pour les collectionneurs et boudée des occas’ récentes, une grosse berline essence avec bien souvent boite auto ça ne plait pas au commun des consommateurs : la X300 est plutôt au creux de la vague en ce moment. Je ne vous dis pas non plus que sa cote va suivre celle des 911 classic, simplement qu’elle ne perd plus de valeur. Evidement il ne faudra pas acheter un prix mais privilégier un entretien suivi et un vendeur ayant eu l’auto quelques temps plutôt qu’une trop belle affaire en dépôt vente, quoiqu’il en soit il n’y a pas de gros piège à l’achat. Malgré une réputation sulfureuse c’est un modèle fiable, un peu plus que la XJ40 dont le circuit électrique a été fiabilisé sur la X300, et un peu plus que la XJ8 (X308) avec ses premiers V8 aux galets fragiles.
Aujourd’hui une belle X300 avec autour de 150.000 km se trouve pour 5.000 €, moins cher avec plus de kilomètre ou plus cher avec moins de kilomètres. Si la conduite à droite ne vous rebute pas, les prix sont divisés par 3 ou 4 de l’autre coté de la Manche. Un CoC et 4 phares plus loin vous pouvez avoir une belle Jag immatriculée en France pour 2.500 € ! Quand je vous parlais de bonne affaire !! Les petits défauts qui peuvent apparaître concernent l’esthétique principalement : le vernis de la peinture a tendance à faner avec le temps et le ciel de toit tombe irrémédiablement. Rien d’insurmontable si on cherche une routière confortable, le 6 cylindres est réputé pour sa robustesse comme l’ensemble de la voiture. Sous le charme du félin ? N’hésitez pas très longtemps…
Crédit photos @ Ambroise Brosselin
Merci Guy pour ce sympathique commentaire !
Super article, la connaissance et la qualité de l’expertise sont au rendez-vous.