Il y a un demi-siècle, Matra décrochait le titre en Formule 1, tant chez les constructeurs qu’au classement des pilotes avec Jackie Stewart. Pour commémorer l’événement, Chantilly Arts & Elegance Richard Mille réunit neuf modèles de la marque, dont l’avant-gardiste MS 80 qui avait porté la France au firmament du sport automobile.
Chantilly Arts & Elegance Richard Mille (lisez nos articles ici) célébre le savoir-faire français. Matra occupe une place de choix, tant la marque a révolutionné le monde du sport automobile à la charnière des années 1960-1970. Elle a introduit des concepts inédits tel que les châssis monocoque à réservoirs structuraux et des méthodes de fabrications novatrices issues de l’aéronautique. Forts de cette ingénierie, Matra et Jackie Stewart devenaient champions du monde de F1 en 1969, exploit considérable devant la meute des écuries britanniques qui régnaient alors sur la discipline : Brabham, BRM, Cooper, Lotus, McLaren.
Matra, qui s’était lancée dans l’automobile en 1964, a traversé l’univers de la course telle une comète : en dix ans, la marque a décroché tous les trophées dont ceux du Tour de France Automobile (1970, 1971) et des 24 Heures du Mans (1972, 1973, 1974). Symboles des Trente Glorieuses et de la France qui gagne, les Matra font aujourd’hui encore la fierté d’une nation et laissent un souvenir impérissable à ceux qui, un jour, ont entendu le son strident de leurs V12 poussés à 10 000 tr/min. Neuf de ces voitures bleues seront exposées lors de l’édition 2019 de Chantilly Arts & Elegance Richard Mille, le dimanche 30 juin.
MS 5 châssis 11 (1966-1967) – Jacky Ickx
“La Formule 3 pour apprendre, la Formule 2 pour s’aguerrir et la Formule 1 pour s’imposer”. Par cette phrase, Jean-Luc Lagardère résume l’engagement de Matra en compétition. La MS 5 marque la deuxième phrase du projet visant à dynamiser l’image d’une société spécialisée dans l’armement. Engagée par l’écurie Tyrrell, cette voiture permet à Jacky Ickx de devenir champion d’Europe de F2 en 1967. Concernant le châssis présenté à Chantilly, il s’est imposé par deux fois, à Crystal Palace et Zandvoort, et a signé la pole position au Nürburgring avec un temps qui l’aurait placé 3ème sur la grille de départ du Grand Prix de Formule 1 !
MS 5 châssis 84 (1967) – Johnny Servoz-Gavin
En 1967, la cylindrée des F2 passe de 1 à 1,6 litres, diminuant sensiblement le gap avec les F1 de 3 litres. Ce rapprochement s’avère particulièrement significatif sur les circuits sinueux où les “petites” monoplaces se révèlent très maniables grâce à leur faible poids. C’est ainsi que Matra tente une incursion dans la discipline reine à Monaco, avec une monoplace issue de la classe inférieure. Aux essais, Johnny Servoz-Gavin se classe 11ème devant plusieurs F1 dont les deux BRM et la Ferrari 312 de Chris Amon ! Sa prestation en course est hélas des plus brèves, une panne d’alimentation l’arrête après un tour.
MS 9 châssis 01 (1968) – Jackie Stewart
Drôle de destin que celui de ce châssis F1 “laboratoire” initialement destiné à des essais de suspension. Envoyé en Afrique du Sud pour des tests privés deux semaines avant le Grand Prix de F1, il est recouvert d’un apprêt vert censé dissuader l’équipe de toute velléité d’engagement en compétition… C’est sans compter sur des chronos très prometteurs ! La monoplace est équipée d’un réservoir d’essence additionnel bricolé au-dessus des genoux du pilote pour lui garantir une autonomie suffisante en course. Deuxième sur la grille de départ, en tête au premier tour, Jackie Stewart abandonne finalement sur casse moteur (V8 Ford DFV 3L).
MS 10 châssis 02 (1968-1969) – Jackie Stewart
Le châssis présenté à Chantilly reste pour toujours associé à l’un des plus grands exploits de Jackie Stewart. Sixième temps des essais du Grand Prix d’Allemagne 1968, Jackie Stewart sent venir l’opportunité le dimanche quand une pluie torrentielle s’abat sur le Nürburgring. Lui, qui souffre d’une fracture du poignet, sait que ces conditions ne peuvent qu’alléger la direction de sa voiture. En tête dès le premier passage, il compte 34 secondes d’avance sur Graham Hill et sa Lotus 49B au deuxième tour et plus de quatre minutes à l’arrivée ! Cette MS 10-02 lui permet également de remporter le premier Grand Prix de la saison 1969 en Afrique du Sud.
MS 11 châssis 03 (1968) – Henri Pescarolo
Première F1 entièrement française depuis 1956 avec les Bugatti T251 et Gordini T32, la Matra MS 11 inaugure le fameux V12 Matra. Le 1er juin 1968 avec Jean-Pierre Beltoise à son volant, elle se classe 2ème du Grand Prix des Pays-Bas derrière la Matra-Ford de Jackie Stewart… Et c’est bien là son problème. Le V12 au chant si mélodieux peine à s’imposer face au V8 anglo-américain. Confié à Henri Pescarolo en fin de saison 1968, le châssis exposé dans le domaine de Chantilly termine en queue de peloton des deux courses auxquelles il participe. Il convient de préciser qu’il ne bénéficie pas des évolutions de celui dévolu à Jean-Pierre Beltoise.
MS 80 châssis 03 (1969) – Jackie Stewart
Cette voiture, qui succède à la MS 10 dès le deuxième Grand Prix de la saison 1969, permet à Jackie Stewart de remporter six courses et son premier titre de champion du monde. Conçue par Bernard Boyer, c’est la seule F1 non-britannique – avec les Ferrari – à remporter un championnat du monde des constructeurs (les Renault 2005-2006, Red Bull 2010-2013 et Mercedes 2014-2018 ont été construites au Royaume-Uni). Elle est propulsée par un V8 Ford Cosworth, préféré par Lagardère au V12 Matra, en raison de ses défauts de jeunesse. Le châssis exposé à Chantilly est le monocoque gardé en réserve pendant la saison 1969.
MS 84 châssis 01 (1969) – Johnny Servoz-Gavin
La saison 1968 ayant vu de nombreuses courses se dérouler sous la pluie, plusieurs constructeurs étudient l’intérêt d’une transmission intégrale. A la demande pressante de Jackie Stewart, Matra construit une voiture expérimentale à quatre roues motrices utilisant des composants Ferguson. A son volant, Jean-Pierre Beltoise dispute le Grand Prix de Grande Bretagne où, handicapé par son bras gauche bloqué, il souffre de la lourdeur de la direction. La MS 84 est alors confiée à Johnny Servoz-Gavin qui termine 6ème au Canada, ce qui fait de lui le seul pilote de l’histoire à avoir marqué un point au avec une F1 à transmission intégrale !
MS 650 châssis 02 (1970-1971) – Pescarolo-Jabouille-Rives et Larrousse-Rives
En 1970, Jean-Luc Lagardère décide d’engager deux Matra au Tour de France Automobile… Les prototypes des 24 Heures du Mans descendent dans la rue ! Les voitures sont mises en conformité avec le code de la route et immatriculées. Pendant neuf jours, la France s’enivre au son du V12 confié aux meilleurs pilotes tricolores : Jean-Pierre Beltoise, Patrick Depailler, Jean-Pierre Jabouille, Gérard Larrousse, Henri Pescarolo. Dans la ferveur générale, les MS 650 tuent tout suspense en remportant la course haut la main deux années de suite. Le châssis 02 se classe 2ème en 1970 puis 1er en 1971.
MS 120 C châssis 04 (1972) – Chris Amon
En 1971, Chris Amon commence sa collaboration avec Matra… par un exploit ! Une victoire au Grand Prix d’Argentine, course hélas disputée hors-championnat. Qu’importe, à n’en pas douter, la première “vraie” victoire des bleus en F1 n’est plus très loin. Mais le Néo-zélandais perd sa visière à Monza alors qu’il avait course gagnée. L’année suivante, il crève au 20ème des 38 tours du Grand Prix de France qu’il dominait. Le modèle est présenté à Chantilly dans sa configuration “Monaco 1971”, avec un aileron très caractéristique. Matra se retire de la F1 après cinq années de présence qui ont fait passer la France du sourire aux larmes.
Source CP Peter Auto
Credit photos @ Alamy, Joris Clerc, Wheelsage