Après la 1ère partie consacrée aux vainqueurs de l’épreuve mancelle d’endurance jusqu’en 1980 (lire ici) et le 2ème volet couvrant la période de 1981 à 1999 (lire ici), voici la 3ème et dernière partie de l’Exposition du Centenaire des 24 Heures du Mans, de 2000 à 2022, ayant vu trois constructeurs dominer : Audi, Porsche et Toyota.
2000 : Audi R8
V8 turbo, 3600 cc, 600 ch, Musée Audi
Après une première expérience au Mans l’année précédente en 1999 avec une double tentative – deux Spiders LMP900 R8R et deux coupés LMGTP R8C – avec à la clé un podium pour la barquette, décision est prise de privilégier le programme d’origine allemande basé sur un châssis construit par Dallara et exploité par l’expert de la victoire Reinhold Joest. Le spider est développé, devient tout simplement R8 et frappe très fort. Non seulement la voiture est la plus rapide, la préparation technique est la meilleure, les pilotes sont au niveau, mais en plus ce sont trois voitures qui sont engagées sous la direction du Dr Ulrich. En plus, la conception n’est pas en reste avec un train arrière prévu pour être remplacé d’un seul bloc en quelques minutes. Moteur, boîte, triangle de suspension, amortisseur, porte-moyeu, freins ? Quel que soit le problème, on change tout et ça repart !
Avec de tels atouts, Tom Kristensen enlève une deuxième victoire en carrière propre et nette en compagnie de Frank Biela et Emanuele Pirro… dans un triplé aux anneaux.
2001 : Audi R8
V8 turbo, 3600 cc, 600 ch, Musée Audi
Attention, cet article va maintenant un peu se répéter. On prend les mêmes, on améliore encore la voiture et on recommence. Victoire de Kristensen / Biela / Pirro sur la R8 aux accents rouges. La seule différence : c’est cette fois-ci un doublé Audi.
2002 : Audi R8
V8 turbo, 3600 cc, 600 ch, Musée Audi
Une victoire Kristensen / Biela / Pirro sur l’Audi R8 aux accents rouges, cela vous parle ? Alors on recommence. On améliore encore la voiture, notamment les flux d’air au niveau des dérives de l’aileron, et l’injection directe FSi, et c’est la passe de trois pour Audi. Pendant ce temps, depuis deux ans, dans le Groupe VW, en parallèle du projet Audi, on prépare un concurrent « ami » en LMGTP, une certaine Bentley EXP Speed 8 qui arrive bientôt à maturité…
2003 : Bentley Speed 8
V8 turbo 4000 cc, 620 ch, Bentley Wildfowl and Motor Museum
Le grand retour de Bentley a eu lieu au Mans en 2001. Après deux années sous le nom d’EXP Speed 8, la voiture subit une énorme évolution qui va transformer nettement sa physionomie et se dénomme désormais simplement Speed 8 (laquelle est la plus belle ? Les deux). La voiture a carrément gagné 4 secondes au tour en Sarthe, et c’est l’année choisie pour l’effacement d’Audi qui n’est représenté que par des (semi) privés.
La Bentley n°8 de Guy Smith, Rinaldo Capello et… ce diable de Tom Kristensen toujours là où ça se passe, se promène en tête de course pendant 369 tours, laissant tout juste 4 tours de leadership à la voiture sœur n°7, et un seul à chacune des trois Audi semi-officielles.
Notons que c’est la première victoire de Bentley après… 73 ans.
2004 : Audi R8
V8 turbo, 3600 cc, 600 ch, Collection privée
On reprend les bonnes vieilles habitudes. Audi n’est toujours pas revenu officiellement mais se cache derrière des privés qui ont tout de l’usine. Eh oui, parmi les pilotes de la vieille R8 (troisième année de participation pour ce châssis) de l’Audi Sport Team Goh fièrement soutenu par Audi Japan, on retrouve pour épauler le japonais Seiji Ara, le pilote d’usine Rinaldo Capello ainsi que, oui, vous avez deviné, Tom qui ? Tom Kristensen qui pour sa sixième victoire en Sarthe égale Jacky Ickx au sommet du palmarès.
2005 : Audi R8
V8 turbo, 3600 cc, 600 ch, Musée Audi
Les années se suivent et se ressemblent un peu… sous la bannière de l’équipe floridienne Champion Racing, la victoire est attribuée à Jyrki Järvilehto aka JJ Lehto, Marco Werner et… on ne le présente plus, notre bon Tom Kristensen qui porte la marque à 7. C’est aussi fin de la carrière de la R8 sur une 5ème victoire qui fait d’elle le modèle le plus titré au Mans, mais pas que, jugez plutôt : en carrière, ce sont 63 victoires dont 17 réparties sur les seules 24 Heures du Mans, 12 Heures de Sebring et Petit Le Mans. Chapeau l’artiste !
2006 : Audi R10 TDI
V12 turbo diesel, 5500 cc, 780 ch, Musée Audi
Bienvenue dans le monde merveilleux du… mazout ! Avec ses plus de 1100 Nm de couple et une puissance de 780 ch, la R10 TDI s’impose dès sa première sortie à Sebring et ne fait qu’une bouchée de ses concurrents au Mans. Sur le podium, Audi nous gratifie d’une petite variante, puisque c’est Frank Biela, Emanuele Pirro et Marco Werner qui s’imposent devant une méritante Pescarolo emmenée par Sébastien Loeb, Eric Hélary et Franck Montagny. Ce bon vieux Tom, lui nous déçoit, puisqu’il ne prend que la 3ème place. C’est d’ailleurs la première fois qu’il passe le drapeau à damiers sans gagner : avant 2006, sa carrière mancelle ne comprenait que des victoires, ou des abandons.
2007 : Audi R10 TDI
V12 turbo diesel, 5500 cc, 780 ch, Musée Audi
C’est ce bon vieux Rudolf Diesel qui doit rigoler : En plus d’Audi, voilà Peugeot qui se lance avec un autre V12 5,5 litres installé dans la splendide 908 HDi FAP. Devant la jeunesse de la Peugeot qui prend malgré tout une belle deuxième place, la Panzer division Audi fait une démonstration de force (malgré la perte de la voiture sœur de Tom). La R10 de Biela / Pirro / Werner mène du premier au dernier tour et s’impose devant Peugeot et Pescarolo. Avec cette septième victoire, Audi se porte à hauteur de Jaguar au palmarès.
2008 : Audi R10 TDI
V12 turbo diesel, 5500 cc, 780 ch
Les Peugeot on progressé, se montrent dangereuses en performance pure et le montrent en début de course. Mais une édition du Mans dans les années 2000, ça dure 24 heures (toujours) et c’est Tom Kristensen qui s’impose (souvent). Cette fois-ci, c’est aux côtés d’Allan McNish et de Rinaldo Capello. Peugeot 2ème…
2009 : Peugeot 908 HDi FAP
V12 turbo diesel, 5500 cc, 750 ch
Cette fois-ci encore, les Français arrivent en épouvantail avec une voiture toujours très rapide, et ayant bénéficié de 2 ans de retour d’expérience. De son côté Audi introduit une nouvelle R15 TDI passée au V10 pour tenter de maintenir sa domination, mais ça passe enfin pour la 908, avec Alexander Wurz, David Brabham et Marc Gené au volant, pour une 3ème victoire du Lion seize ans après son dernier succès. Pour compléter le triomphe tricolore, la deuxième place est prise par une autre 908, celle des français Montagny / Sarrazin / Bourdais. Audi est troisième avec… Kristensen, McNish et Capello.
2010 : Audi R15 TDI Plus
V10 turbo diesel, 5500 cc, 650 ch
La R10 TDI à moteur V10 turbo diesel a été profondément optimisée. Avec un quadruple abandon dans le camp français, les allemands déroulent et s’offrent un triplé emmené par Mike Rockenfeller, Timo Bernhard et Romain Dumas (des pigistes prêtés par Porsche) et enfoncent le clou à gros coups de masse puisque toutes les trois se permettent de pulvériser un record, celui de la distance parcourue (et son corollaire celui de la vitesse moyenne), qui sera resté 39 ans aux mains de la Porsche 917K #053 de 1971. La nouvelle marque est portée à 5411 km, et 225 km/h de moyenne.
2011 : Audi R18 TDI
V6 turbo diesel, 3700 cc, 540 ch
Gros changement réglementaire, exit les prototypes ouverts et réduction des cylindrées, Audi se met à jour avec la R18 tandis que Peugeot revoit totalement la 908 qui reçoit elle un… V8. Deux Audi sont perdues dans la bataille contre Peugeot, mais la dernière tient bon avec Marcel Fässler, André Lotterer et Benoît Tréluyer qui s’imposent devant quatre Peugeot, mais le vent du boulet a été senti avec la plus menaçante des 908 à seulement 14 secondes sur la ligne.
2012 : Audi R18 E-Tron Quattro
V6 turbo diesel + hybride, 3700 cc, 770 ch
Cette année marque l’arrivée de l’hybride en LMP1. La R18 accueille un moteur électrique sur l’essieu avant et un système de récupération de l’énergie cinétique. Le nouveau trio star d’Audi Fässler / Lotterer / Tréluyer enlève une deuxième victoire nette et un doublé sans bavure face à Toyota.
2013 : Audi R18 E-Tron Quattro
V6 turbo diesel + hybride, 3700 cc, 770 ch
Toyota a progressé, mais c’est encore deux des trois Audi qui l’emportent devant une japonaise. Les écarts sont cependant réduits, le podium se tient en un tour. Victoire de Tom Kristensen / Loïc Duval / Allan McNish. C’est la 9ème et dernière pour « Mr Le Mans », un record qui donnera du fil à retordre à ses éventuels challengers dans le domaine.
2014 : Audi R18 E-Tron Quattro
V6 turbo diesel + hybride, 4000 cc, 830 ch
Ça s’active en LMP1 avec l’arrivée de Porsche, et les règlements hybrides évoluent. Les constructeurs peuvent se placer dans différentes catégories d’hybridation et les performances sont ajustées par de complexes équivalences en termes d’énergie libérée par tour, qui doit aussi laisser leur chance aux LMP1 privées non hybrides. Bien que pionnier de l’hybridation et disposant de la plus grande expérience, Audi choisit de rester dans la tranche d’hybridation la plus basse contrairement à Toyota (lire ici) et Porsche. Mais au final, la R18 tire bien son épingle du jeu et offre à Audi sa 13ème et dernière victoire, avec Fässler / Lotterer / Tréluyer à la manoeuvre.
2015 : Porsche 919 Hybrid
V4 turbo + hybride, 2000 cc, 1100 ch
Une nouvelle époque s’ouvre avec cette victoire Porsche. Le constructeur allemand qui s’était tenu à l’écart du haut niveau mondial pendant 16 ans, est revenu en WEC et au Mans avec une nouvelle voiture et tout à réapprendre, technologie hybride en tête. Après une année pour apprendre, en 2015 les choses sont faites en grand : trois voitures engagées au Mans (cela fait souvent la différence et les évènements leur donneront raison) avec des livrées rendant hommage au passé, au présent et au futur : n°17 rouge pour la 917, n°18 noire pour la 918, n°19 blanche pour la 919 (lire ici). L’hybridation passe en catégorie maximale. En course, c’est la troisième voiture, celle du pigiste Nico Hülkenberg associé à Earl Bamber et Nick Tandy qui remporte la timbale, bénéficiant d’une meilleure fiabilité et de décrocher la 17ème victoire de Porsche (lire ici), mettant fin à la série d’Audi en sa présence. La n°17 de Mark Webber, Timo Bernhard et Brendon Hartley assure le doublé.
2016 : Porsche 919 Hybrid
V4 turbo + hybride, 2000 cc, 1100 ch
Champion du monde WEC et vainqueur en titre au Mans, Porsche arrive en 2016 en position de favori (lire ici). C’est sans compter sur Toyota qui au fil des années précédentes n’a cessé de s’approcher du succès. Cette fois cela semble être la bonne pour le clan japonais, recordman de la résilience, quand la TS050 ayant nettement dominé à la régulière, s’arrête devant son stand avec un seul tour restant à couvrir (lire ici). C’est l’abandon, la Porsche de Romain Dumas / Neel Jani / Marc Lieb, qui était dans le même tour, récupère les lauriers in extremis. L’un des finaux les plus spectaculaires de l’histoire des 24 Heures.
2017 : Porsche 919 Hybrid
V4 turbo + hybride, 2000 cc, 1100 ch
La 919 revient en Sarthe profondément révisée pour affronter un rival Toyota (lire ici). Ça s’annonce saignant! Les deux constructeurs rencontrent de grosses difficultés. Porsche perd quasiment sa numéro 2 après seulement 4 heures de course : celle-ci perd une heure complète au garage et reprend la piste en 56ème position à 18 tours de la tête. La numéro 1 mène la course jusqu’à trois heures de l’arrivée lorsqu’elle est contrainte à renoncer, unité de puissance complètement HS. Entre le peu de concurrents en LMP1 et les soucis de Toyota, la voiture qui se retrouve en tête, avec plus de 10 tours d’avance, est… l’Oreca 07 LMP2 du Jackie Chan DC Racing. On sort les calculettes, la Porsche numéro 2 qui avait perdu tant de temps en début de course peut-elle aller chercher l’Oreca ? La jonction se fait finalement dans la dernière heure, Timo Bernhard / Earl Bamber et Brendon Hartley offrent à Porsche sa 19ème victoire. Dans la foulée, la marque annonce son retrait de la discipline. Avec celui d’Audi un an plus tôt, il ne reste plus que Toyota, qui s’obstine (superbement) depuis des décennies.
2018 : Toyota TS050 Hybrid
V6 turbo + hybride, 2400 cc, 1000 ch
Cette fois-ci, toutes les planètes semblent définitivement alignées pour Toyota : il n’y a maintenant plus du tout de concurrence ! Il y a bien les Rebellion, les BR et les Ginetta en LMP1 non hybride, mais seront-elles capables de résister à un constructeur aux moyens conséquents ? La réponse sera non, bien sûr. D’autant que Toyota s’adjoint les services du rookie Fernando Alonso, en pause de la F1 et quête de triple couronne. Et cette fois c’est la bonne pour le constructeur japonais qui signe le doublé. Victoire de Sébastien Buemi / Kazuki Nakajima / Fernando Alonso, concluant une quête du trophée qui aura nécessité 20 participations étalées sur 33 ans.
2019 : Toyota TS050 Hybrid
V6 turbo + hybride, 2400 cc, 1000 ch
On prend les mêmes et on recommence… pour la Toyota n°8 (lire ici), l’opposition ne peut venir que de la voiture sœur, qui après être partie de la pole position et avoir mené 339 tours, perd son avantage sur une simple crevaison qui suffit aux vainqueurs 2018 Sébastien Buemi, Kazuki Nakajima et Fernando Alonso pour tirer les marrons du feu et doubler la mise. Nouveau doublé.
2020 : Toyota TS050 Hybrid
V6 turbo + hybride, 2400 cc, 1000 ch
Édition maudite pour nous tous spectateurs, puisqu’en raison de la pandémie covid-19, la course est repoussée au mois de septembre et contrainte d’avoir lieu à huis clos. Côté sportif, la Toyota n°8 s’impose encore avec Sébastien Buemi, Brendon Hartley et Kazuki Nakajima. Grâce à ces 3 victoires d’affilée, Toyota peut conserver définitivement le grand trophée des 24 Heures du Mans. La voiture victorieuse est offerte à l’ACO.
2021 : Toyota GR010 Hybrid
V6 turbo + hybride, 3500 cc, 930 ch
Adieu LMP1, voici ouverte la nouvelle ère Hypercar. Sur la piste, l’opposition à Toyota est représentée par Glickenhaus qui a développé sa propre Hypercar et Alpine qui recycle une ancienne LMP1.
La course est dominée sans surprise par Toyota (lire ici), et cette fois-ci l’équipage n°7 de Mike Conway, Camus Kobayashi et José Maria Lopez, trois fois malheureux les années précédentes rafle la mise pour un nouveau doublé. Si de l’extérieur la victoire est nette et sans histoire, l’équipe a tremblé, faisant face à un problème de pompe à essence dû à l’encrassement des filtres sur les deux voitures. Le stand Toyota et sa salle informatique remplie d’ingénieurs trouve une solution transitoire en demandant aux pilotes des manipulations depuis le cockpit, tout en téléchargeant sur les voitures une mise à jour du software. Bienvenue aux 24 Heures du Mans 2.0 ! Alpine complète le podium.
2022 : Toyota GR010 Hybrid
V6 turbo + hybride, 3500 cc, 930 ch
Toujours les mêmes adversaires, et même si Glickenhaus se montre en mesure de grimper sur le podium en plaçant ses deux voitures 3ème et 4ème, ce sont bien les deux Toyota qui s’imposent (lire ici). A la quatrième heure, elles se sont déjà échangé 9 fois le leadership. La n°8 de Sébastien Buemi, Brendon Hartley et Ryo Hirakawa s’impose au bout d’horloge avec seulement 39 minutes passées dans la voie des stands.
C’est la fin de cette extraordinaire exposition du centenaire des 24 Heures du Mans.
Saluons la démarche de transparence et de vérité de l’organisation, qui, là où elle aurait facilement pu combler des trous avec des sosies (certains musées de constructeurs, on pense à vous !), a le professionnalisme de ne présenter que d’authentiques voitures, et d’indiquer par une signalétique claire si une voiture du même type n’est pas effectivement la gagnante (on pense à la 166 MM de la collection permanente, peinte de la même façon mais dont le panneau faisait apparaître clairement que la gagnante est un autre châssis). Une seule exception toutefois pour la 250 LM qui n’était pas du tout ce qu’elle prétendait être (une 6ème place pour ce châssis), cas étrange mais isolé.
Des griefs à cette exposition du Centenaire des 24 Heures du Mans ? Franchement, il faudrait être sacrément blasé ! Presque aucun, tant c’est exceptionnel. Les seuls bémols seraient à attribuer à l’architecture du musée, qui a contraint la présentation : Après une scénographie très agréable, lisible et aérée dans les parties du musée le permettant, le tournant et la grande ligne droite qui mène des années 80 aux années 2010 est malheureusement un peu étroit et condensé, ce qui malheureusement ne donne pas beaucoup d’angles pour admirer ou photographier les belles et qui contribue à un certain étourdissement du spectateur devant une telle débauche de légendes (et ce paquet de 13 Audi donne une impression de déjà vu !).